Nicolas Bouvier, grand voyageur devant l’éternel, a ensoleillé ma jeunesse avec « L’usage du monde ». La maturité venant, je découvre ses récits de l’âge d’homme et ses pérégrinations dans des contrées d’autant plus exotiques qu’elles sont à nos portes. Son « Voyage dans les Lowlands » nous amène en Ecosse, où un petit creux lui fait découvrir des coutumes étranges.
« […] Dans un parking en bord de route j’ai refilé mon passager à un camion qui descendait vers le sud et l’appétit venant, me suis mis à lorgner les auberges. La première que j’ai trouvée présentait un spectacle étrange : derrière les portes vitrées et fermées, les serveurs disposaient amoureusement sur de longues tables des cylindres blancs et brillants que j’ai d’abord pris pour des obus antichars. C’étaient de monstrueux poireaux, lavés, brillants comme nacre, soigneusement rasés de leur barbe de radicelles, disposés sur les tables par lots sur lesquels on plantait un fanion au nom du producteur. Par signe les garçons m’ont fait comprendre qu’ils n’ouvraient qu’à midi trente, après l’arrivée du jury, et sur une petite table en effet, des médailles enrubannées étaient préparées. Dans les villages du Japon central j’étais déjà tombé sur des concours d’épouvantails (le plus épouvantable gagnait une bonbonne de saké aussitôt transformée en saoulerie collective) et même une fois sur un concours de grimaces. Pour les poireaux, c’était une première. Renseignements pris, ils font fureur à cette saison ; le vainqueur est ramené chez lui dans un cortège de klaxons comme une mariée. Je n’avais dans la voiture aucun produit de mon jardin, j’aurais donc été servi le dernier et du bout de le cuiller. »
Marie-Victoire BERGOT pour laradiodugout.fr