Terminer l’année civile par bombance et banquet. Avec quelques ingrédients obligatoires. S’obliger à les manger car « c’est comme ça à Noël et la Saint Sylvestre ». Ou se trouver inviter à un dîner en ville. Les hôtes pour vous honorer servent des pierres à consistance de soupe. Il faut bien les déglutir. J’ai été tout à fait rassurée en tombant sur ce passage du Cheval d’Orgueil. Non, je ne suis pas folle, juste un peu bretonne de l’ancien temps.
« Il n’y a pas d’huîtres dans le pays, mais nous savons qu’elles existent et pas très loin d’ici. Nous n’en avons encore jamais vu la couleur. Beaucoup plus tard, cependant, on racontera comment la servante d’un médecin se présenta furieuse devant son maître : « Qu’avez-vous fait à M. N. ? Il vous a envoyé un paquet de pierres pour se moquer de vous. » Les pierres étaient des huîtres et la brave femme les avait jetées dans le trou du fumier. Je tiens l’histoire du médecin lui-même. Et le plus curieux c’est qu’à l’époque il ne savait pas non plus ce qu’étaient ces pierres-là. Plus consciencieuse fut la karabasenn [gouvernante de prêtre] d’un brave recteur qui entreprit de casser les pierres en question pour savoir ce qu’il y avait dedans. Peu après, le prêtre la vit arriver, la mine dégoûtée, portant un grand bol où elle avait déversé les chairs gluantes comme autant d’œufs à battre en omelette. Une autre karabasenn fit le contraire. Elle servit les coquilles vides l’ors d’un repas de pardon qui rassemblait une demi-douzaine d’ecclésiastiques. Et quand son recteur lui jeta un regard étonné, elle s’exclama d’une voix offensée : « Eh bien quoi ! J’ai bien vidé les boyaux, non ? » Mais la meilleurs histoire est celle qui se produit lorsque j’attrape mes douze ans. Les anciens combattants d’un bourg voisin (n’attendez pas que je dise lequel !) décident d’aller banqueter entre eux dans un restaurant réputé, quelque part sur la côté. La nuit est déjà noire et le car du retour ne se montre pas encore. Grande inquiétude dans les familles. Un peu après minuit, la voiture arrive sur la place du bourg au milieu d’un vacarme de chants et de rires. Tous les héros sont confortablement pompettes. Pour la première fois, ils ont eu des huîtres à manger. Devant ces animaux pierreux à consistance de soupe, les vainqueurs de la grande guerre sentent passer sur eux le vent du désastre. Mais au lieu de perdre courage, le bataillon attaque l’ennemi à coups de vin blanc : une huître, une bonne gorgée, une huître, une gorgée meilleure encore… Il y a deux douzaines d’huîtres pour chacun, ce qui est raisonnable pour l’époque. Les épouses pardonnent le vin blanc en considération de l’héroïsme qu’il a fallu à leurs hommes pour affronter sans peur une aussi cruelle épreuve. Pourtant, elles ne connaissent pas la parole du roi Jacques d’Angleterre pour qui l’homme le plus courageux du monde était celui qui le premier osa avaler une huître. Ma mère attendra ses soixante-quinze ans avant de s’y résoudre. A mon âge, dira-t-elle, rien ne peut plus me faire de mal. »
Je sais maintenant que mon désamour des huîtres vient de mon sang breton d’avant 14, même s’il est aujourd’hui passablement dilué.
Marie-Victoire BERGOT/ laradiodugout.fr
Source : « le Cheval d’Orgueil » de Pierre-Jakez Hélias
cela me rappelle des cousines italiennes à qui mes parents avaient servi des huitres… mon grand-père, italien en France depuis fort longtemps, avait donc déjà goûté à ces « choses visqueuses » mais était un tantinet coquin. Il attendit que les fameuses cousines aient avalé quelques spécimen, pour leur annoncer qu’elles étaient vivantes…. Devant l’incrédulité et la tête horrifiée des cousines, avec son plus beau sourire en coin, il prit la pointe de son couteau et dérangea une habitante des « pierres », en lui titillant la chair, qu’elle rétracta sans tarder….
la tête des « cugine » !!!