Pour la quatrième édition de son prix, le jury du Figaro a passé au crible la production foisonnante de l’année. Voici les dix coups de cœur de la rédaction.
(Le jury du Figaro: Colette Monsat, Alice Bosio, Hadrien Gonzales, Emmanuel Rubin, Hugo de Saint Phalle et François Simon, sous la présidence d’Anne-Sophie von Claer.)
1. Aribert
Pourquoi décerner à cet ouvrage consacré à Christophe Aribert le prix du livre gourmand? Parce que de toute la production de l’année, c’est peut-être le plus radical, le plus réussi dans ses partis pris esthétiques, le plus sincère aussi. Alchimie subtile de photos de paysages, de plats et de matières, travaillées jusqu’à l’épure, qui reflètent en profondeur le cheminement d’une cuisine singulière, instinctive et inspirée.
Le double étoilé d’Uriage nous fait rentrer dans son univers, images (très belles) et dessins à l’appui, montrant que ses recettes sont façonnées par son rapport au charnel, au terrestre, au végétal. L’homme a mûri (c’est son second ouvrage), le cuisinier aussi, qui pousse le travail sur les textures et les saveurs, sans jamais verser dans la pose ou l’anecdotique. Restent les fondamentaux, des accords maîtrisés, une partition subtile qui sait rester lisible. Plus qu’un simple livre de recettes (50 au total), un voyage où l’imaginaire a le goût du vécu.
«Aribert», textes de Pierrick Jégu, photographies de Benoît Linero, design graphique de Georges Riu.
2. Le Grand Véfour
L’adresse mythique du Palais-Royal serait-elle encore plus savoureuse en livre qu’en restaurant? Une chose est sûre, nous avons eu un gros coup de cœur pour ce luxueux opus publié cet automne par le chef deux étoiles Guy Martin. Format XL (27×35,5cm) dans sa boîte cartonnée, doré sur tranche, marque-pages bleu-blanc rouge(!), immersion étonnante dans le décor de stuc de cette adresse fondée en 1784 à Paris. Les textes manquent de mordant et d’anecdotes croustillantes? Peu importe. Ce livre majestueux fera tomber à la renverse plus d’un adepte de classicisme flamboyant, de cette gastronomie majuscule, pompeuse et grandiose. Il coûte la bagatelle de 75 euros. Ce n’est finalement que le quart du prix d’un dîner dans cette table patrimoniale…
«Le Grand Véfour», Guy Martin. Photographies et stylisme Michel et Domitille Langot.
3. Venise
Comme tout le monde, vous êtes dingue de la Sérénissime mais comme les vrais passionnés, vous ragez de la voir caricaturée, entre gondoles et pizzerias. Laura Zavan, originaire de Trévise, vit à Paris mais connaît Venise aussi bien, si ce n’est mieux, que les Vénitiens de souche. Et elle nous livre ici les recettes culte de la Cité des Doges, de l’apéro aux dolci en passant par les antipasti et secondi piatti. Cuisinière talentueuse, elle ne se contente pas de dévoiler les meilleures recettes de cette ville magique mais les assortit d’un carnet de bonnes adresses sur place et à Paris. Un ouvrage épatant et gourmand, au maillage serré, qui mêle vie, ville et envies.
«Venise», par Laura Zavan. Photographies de Grégoire Kalt.
4. Le Coq Rico
Si cet ouvrage figure dans notre classement, c’est sans doute parce qu’il ne se pousse pas du col. Il est dans son élément, à savoir les belles volailles. Il roule dans l’élan de ce qui constitue l’une de nos tables préférées à Paris: le Coq Rico, à Montmartre. Pourquoi? À question simple, réponse simple et consciencieuse. Ces 256 pages arrivent comme une fleur dans l’esprit paisible et doux du maître des lieux: Antoine Westermann (le Coq Rico, Drouant, Mon Vieil Ami…). On trouvera plus de 70 recettes de poule, de canard, de coq, de dinde, de pigeon, et de desserts à base d’œufs. C’est un livre de paix et de calme.
«Le Coq Rico», par Antoine Westermann. Photographies de Marie-Pierre Morel, illustrations de Shane et Christophe Meyer.
5. Jérusalem
Deux auteurs, deux amis, deux histoires réunis à travers ce livre de fraternité sur leur ville commune, Jérusalem. Yotam Ottolenghi a grandi dans le quartier juif, Sami Tamimi, lui, est Palestinien et vient de la zone est. Et ce qui les rassemble par-delà les différences culturelles et confessionnelles, c’est la cuisine, cet incroyable patrimoine de partage.
Finalement, l’origine des plats n’a que peu d’importance. On ne saura jamais qui est l’inventeur du houmous par exemple, parce que le propre de ces cultures alimentaires est d’être enchevêtrées depuis des millénaires. Alors, on applaudit au message de paix véhiculé par ce livre formidablement vivant, dont les photos font voyager au cœur de saveurs et d’odeurs ensoleillées, au ras du quotidien des Jérusalémites. Soit 145 recettes caractéristiques de la ville, forcément chargées d’histoire.
«Jérusalem», par Yotam Ottolenghi et Sami Tamimi.
6. L’Art du saké
On attendait «le» livre sur le saké… Il est déjà là. On aurait rêvé que cela vienne de Toshiro Kuroda, grand maître en la matière, et, par chance, c’est lui qui signe cet ouvrage pionnier. Souvent, du reste, ces mariages attendus sont laborieux et un poil barbants mais ce n’est pas le cas avec cet opus superbement illustré par Iris L. Ajoutez à cela des recettes associées à cet alcool, réalisées par Iñaki Aizpitarte, Éric Briffard, Masayoshi Hanada, Jean-Paul Hévin, Patrick Jeffroy, William Ledeuil, Christophe Pelé, Jean-Christophe Rizet, Norihiro Imamura… Un livre impressionnant de maîtrise.
«L’Art du saké», par Toshiro Kuroda.
7. Manifeste gourmand des herbes folles
Quel curieux livre venu d’on ne sait où! Joliment perché et parlant avec bonheur du monde étrange des plantes sauvages. Gérard Ducerf, ethnobotaniste, et Georges Oxley, biochimiste, se sont associés avec Diana Ubarrechena pour cheminer de la sorte parmi les sauvageonnes. L’ouvrage ne se contente pas de nous faire découvrir cet univers foisonnant qui converse à nos pieds en racontant leurs histoires à travers les âges, mais il pousse le plaisir plus loin: à savoir, 200 recettes savoureuses et parfois inédites, histoire de réincarner ces plantes dans l’énergie et la douceur… Vous verrez, plus qu’un voyage, c’est une initiation. Chapeau!
«Manifeste gourmand des herbes folles», par Gérard Ducerf, Georges Oxley et Diana Ubarrechena.
8. Cuisine bon marché
D’une efficacité redoutable, cet abrégé de cuisine abordable devrait donner aux plus réfractaires l’envie de mettre la main à la pâte. Après le succès de la collection Best of, les éditions Alain Ducasse impriment décidément leur marque à travers leur formule de pas à pas illustrés (huit pages pour une seule recette!): pas d’emphase, mais beaucoup de pédagogie dans les explications de Pierre Morat, chef de l’École Alain Ducasse, et les photos de Stéphane Bahic. La simplicité s’immisce jusque dans les énoncés des onze plats, à la manière du Poulpe, fenouil, citron, olive et socca niçoise. Formulation brute et primaire, pile dans l’air du temps. Le coût de chaque recette est chiffré: 2,5 à 10 euros. Celui du livre: 12 euros. C’est donné.
«Cuisine bon marché», Alain Ducasse.
9. Les Douceurs de l’enfance
Ça n’aura échappé à personne, les plaisirs sucrés constituent l’engouement du moment. Les adresses se multiplient, les pâtissiers sont promus nouvelles télé-stars… Mais, du côté de l’édition, étrangement, c’est le calme plat. Cet ouvrage contrebalance doucement le paradoxe en esquivant le second degré de la cuisine régressive. Clafoutis aux cerises, petits cannelés, chaussons aux pommes… ces grands classiques s’adressent aux parents, pour leurs enfants. Au programme, des «goûters de vacances», des «recettes de grand-mère», des «mercredis entre copains» ou des «dimanches en famille». Le tout est mis en page façon collages, grain vintage, écriture cursive et photos de têtes blondes en noir et blanc. So sweet!
«Les Douceurs de l’enfance», par Philippe Gobet & Lenôtre.
10. Champignons
Attention, cet ouvrage est réservé aux monomaniaques, raison pour laquelle il ne figure pas en meilleure position dans notre classement! Mais il pourrait aisément remonter de quelques places, tant cet opus du chef Régis Marcon va vite devenir une référence en matière de mycologie gourmande. Des plus connues aux plus discrètes, le triple étoilé de Saint-Bonnet-le-Froid passe en revue toutes les espèces comestibles, nous apprenant à les éplucher, les cuire et les conserver avant même de nous livrer ses meilleures recettes. Les photos sont superbes et les explications très claires. Un hommage appuyé au champignon, roi des prés et des forêts.
«Champignons», par Régis Marcon, photos de Philippe Barret, stylisme de Nathalie Nannini.
Hors compétition
Les rééditions se portent bien en cette fin d’année. Parmi les grands classiques, à noter la Gastronomie pratique d’Ali Bab. Un ouvrage de référence écrit en 1907 par Henri Babinski dit «Ali Bab». Plus de 5000 recettes détaillées, mais aussi des textes sur l’histoire de l’art culinaire à travers les siècles. Ce témoignage nostalgique et parfois attendrissant des manières de table du début du XXe, qui montrent à quel point les ingrédients, les proportions, les tours de main ont évolué au fil des ans, constitue un joli présent pour les passionnés de culture gastronomique.
À signaler aussi, la petite maison d’édition Menu Fretin, installée à Chartres, propose une collection de rééditions savoureuses à prix mini (5 euros), baptisée Kawa à, avec de plaisantes reprises comme Manière de faire le pain de pommes de terre , sans mélange de farine d’Antoine Augustin Parmentier (1737-1813), ou encore La Cuisinière assiégée ou l’art de vivre en temps de siège par une femme de ménage… datant de 1871. Délicieusement rétro.
(Source: Le Figaro)