On la connait en France depuis le XVI° siècle mais son histoire est bien plus ancienne et c’est sans nul doute l’épice qui depuis la nuit des temps a le plus fasciné l’humanité. Elle a suscité d’immenses convoitises. Les puissants en ont rêvé. Parée de toutes les vertus, sa valeur était inestimable. Elle a longtemps été plus onéreuse que l’or avant que le métal précieux n’atteigne, ces dernières années – crise oblige – les sommets que l’on sait mais reste aujourd’hui plus chère que le caviar.
Cette épice de légende, c’est le safran, l’or rouge. Il existe des safranières dans notre pays et des hommes qui tels les orpailleurs de la ruée vers l’or tentent aujourd’hui encore cette aventure pas comme les autres. Guy Camus est l’un d’eux.
Diane de Poitiers, qui avait vingt ans de plus que le roi Henri II, ingurgitait chaque jour une solution d’or persuadée par les alchimistes de pouvoir échapper ainsi aux outrages du temps et de préserver son teint diaphane. Elle rendit le dernier soupir à près de soixante six ans, ce qui n’était pas si mal sous la Renaissance. D’une chute de cheval ou les viscères tapissés du métal précieux, véritable poison en réalité ? L’énigme reste entière.
Depuis plus de 3000 ans, le safran est lui aussi paré d’un grand nombre de vertus médicinales voire magiques. Macéré dans l’alcool avec cannelle, muscade, girofle et autre myrrhe popularisée par les rois mages, le safran donnait alors naissance à un élixir de jeunesse que n’aurait pas renié la belle Diane si à l’époque elle en avait eu connaissance. Une chose est sûre, la liqueur obtenue à consommer avec modération comme on le dit aujourd’hui ne l’aurait pas tuée sinon d’une cirrhose du foie…
Le safran, depuis la plus haute antiquité occupait donc dans les remèdes princiers le rang d’épice des puissants de ce monde en raison de sa rareté. En Egypte, il possédait son hiéroglyphe mais on y fait allusion sous d’autres latitudes : Grèce, Perse, Chine, etc.
Le safran, c’est l’extrémité du pistil du crocus sativus, un triple stigmate. On parle aussi de brins ou de filaments. La plante à floraison automnale n’existe pas à l’état natif, elle est le résultat d’une longue sélection en vue d’obtenir les stigmates les plus longs et les plus généreux. Ce qu’il restera de la fleur après l’émondage, l’ablation des stigmates qui se fait à la main, ne présente aucun intérêt. Le précieux crocus ne serait pas originaire des plateaux irano-afghan comme on l’a longtemps cru mais plutôt de Crête. Safran ou Safrarum, en latin, viendrait de l’arabe et désignerait la couleur jaune tandis que le persan associe or et plume (stigmate).
Contrairement à une idée reçue, le safran n’est pas une épice « exotique ». Des Etats-Unis à la Chine, sans oublier le Maghreb, le Moyen-Orient ou encore le continent indien, il est cultivé sur une large bande de notre planisphère. Seuls l’Amérique du Sud, l’Afrique sub-saharienne et, a contrario les latitudes trop nordiques sont peu propices à la croissance du crocus savitus. La production mondiale de safran est estimée à 300 tonnes. La France fut longtemps un pays producteur important notamment dans le Gâtinais et dans le Quercy mais sur le plan européen, elle a cédé la place à l’Espagne. Guy et Brigitte Camus, maraichers à Arc en Barrois, se sont lancés dans l’aventure du safran en 2009 et restent à ce jour les uniques producteurs de safran dans la Haute-Marne. Il s’agissait pour eux de diversifier leur activité initiale, de tester quelque chose de nouveau sans attendre, pour le moment du moins, que la précieuse épice ne mette beaucoup de …beurre dans les épinards.
La safranière de la vallée de Aujon qui n’en est à ses débuts produit quelques centaines de grammes (entre 300 et 500 grammes) chaque année. Elle couvre environ 800 mètres carrés soit 30 000 bulbes plantés. La première année, les bulbes ne donnent qu’une fleur unique. Les années suivantes, plusieurs fleurs sont attendues. Les bulbes ont une durée de vie de 5 à 7 ans. Après floraison et récolte des fleurs, vient l’émondage afin de récupérer les précieux filaments qui seront disposés sur des tamis très fins avant de passer à l’étuvage. Une étape décisive et très délicate durant laquelle le stigmate va perdre 80% de son poids. Il faut 200 fleurs pour obtenir 1 gramme de safran sec.
Explication de Guy Camus sur l’étuvage au micro de Gérard Conreur
Désormais vous savez tout ou presque sur cette épice royale. Et si le cœur vous en dit, plantez donc chez vous, dans une jardinière ou sur un coin de potager quelques bulbes de crocus savitus que l’on trouve dans quelques bonnes jardineries et prenez patience… vous obtiendrez quelques fleurs aux riches stigmates écarlates. Un pistil représente 3 brins (ou stigmates). Pour les sauces, il faut 1 à 2 pistils par personne et pour les desserts : 6 à 8 pistils par litre de lait. Un dernier conseil : à l’achat, préférez le safran sous forme de filaments au lieu de l’épice en poudre surtout s’il s’agit d’un « souvenir de vacances » car en raison du prix élevé du safran, le risque de tromperie existe.
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super bel article!