Le café du coin ©Pierrick Bourgault
Alors que les cafés et autres bistrots nous ont tant manqué en ce long printemps de confinement après leur fermeture administrative décidée pour tenter de stopper la pandémie, Pierrick Bourgault campe avec gourmandise et à propos au « Café du coin ». C’est un mythique bistrot sarthois rue du colonel Raynal au Mans (72) tenu par une arrière-grand mère de 77 ans, Jeannine Brunet réputée pour son franc parler. Ses amis et les habitués l’ont baptisée « la mère Lapipe et son bistrot » car elle passe son temps à fumer son tabac. Derrière une devanture qui ne paie guère de mine se niche un café atypique et haut en couleur, ouvert tous les jours de la semaine et tapissé de quelque affiches de Johnny Hallyday au mur, derrière le bar qui mérite le détour comme symbole à la fois français et local du lien social.
Pierrick nous relate dans son dernier livre « La mère Lapipe et son bistrot », avec luxe de détails pris sur le vif et un zeste de nostalgie, la gouaille de la patronne, des piliers et des brèves de comptoir. « Sorte de maison bis » mais aussi lieu atypique « interdit aux cons » précise un autocollant à l’entrée… qui offre une ambiance impossible à reconstituer dans un salon, une cuisine ou même un apéro entre voisins. ,« Je vis seule ici, je dors ici, je mange ici. C’est mon fief, mon antre depuis 35 ans », dit la tenancière. Elle précise : « Que ce soit des jeunes ou des vieux, mes clients sont des gens que j’ai choisi. Il y a d’autres bars dans le coin, ils n’ont qu’aller ailleurs… »
Pierrick Bourgeault avec Jeannine Brunet © Jérôme Lourdais
Creuset social et autre chez soi
chaude ambiance ©Pierrick Bourgault
« On va au café pour être dans un cocon sonore qui montre qu’on fait partie de la société », estime la psychosociologue Josette Halégoi, coautrice du livre « Une vie de zinc » (le Cherche-Midi). Selon elle, « cette disparition provisoire de ces temples de la convivialité ces derniers mois a « sans doute renforcé le sentiment de « solitude et d’exclusion » des citoyens isolés, voire paumés, pour qui l’estaminet est « le seul endroit pour parler ».
En feuilletant « La Mère Lapipe et son bistrot », et encore mieux en y allant prendre un verre, on comprend mieux pourquoi l’atmosphère du troquet « parlement du peuple » comme le décrivait Balzac – nous a tant manqué en chamboulant nos petites habitudes de petit noir et/ou d’un ballon de rouge « pas plus haut que le bord ». Sorte de creuset social bien de chez nous et qui fascine tant les étrangers en mal d’exotisme hexagonal. « C’est un lieu qui est l’archétype du lien social dans notre pays, le seul où l’on peut tous se retrouver quels que soit notre âge et notre classe sociale. C’est un repère valorisant où l’on est reconnu et écouté » décrypte notre experte qui espère que, parmi toutes les « prises de conscience » liées à la crise sanitaire, qu’il y aura « une réhabilitation du bar aux vertus sociales irremplaçables, notamment « d’inclusion ». Car le nombre de rades a sacrément chuté ces dernières décennies sur notre territoire : on en compte un peu plus de 30 000 contre 200 000 dans les années 1960.
Agnès,, médecin, 58 ans et pilier du Royal (Paris IIe) répond comme un écho à notre confrère du « Parisien »: « Quand on entre dans un bistrot, c’est à chaque fois une découverte. On y rencontre des regards, des visages, des trognes », apprécie-telle. « Pour le contact humain, on n’a rien trouvé de mieux ! Quand t’es seul, c’est important », confie pour sa part Philippe, 56 ans, postier, « encore célibataire ».
D’autant plus qu’on nous prédit que le plus dur c’est maintenant et que le déconfinement sera plus angoissant… que le confinement.
Christian Duteil/juin/La Radio du Goût
« La mère Lapipe et son bistrot »
Auteur: Pierrick Bourgault
Editeur: Editions ateliers Henry Dougier
Collection: Une vie, une voix
ISBN: 979-1031204482
138 pages
Prix: 14 euros