Au moment où Les Etats-Unis sont à l’honneur de la 15e édition du Salon international de la restauration, de l’hôtellerie et de l’alimentation (SIRHA) à Lyon, nous vous proposons ce reportage de Geneviève Guihard sur cette autre cuisine des USA, celle des Indiens d’Amérique.
Thierry Bourgeon. laradiodugout.fr
Près de cinq cents Tribus indiennes perdurent sur l’ensemble du territoire des Etats Unis d’Amérique ; la plupart des Tribus originelles ont été presque entièrement décimées au 19ème siècle ; certaines sont définitivement éteintes.
La Tribu Navajo est aujourd’hui la plus importante numériquement ; ½ million de membres sont répartis entre trois Etats : Utah, Arizona, New Mexico.
Les Traités signés par les Chefs des Tribus survivantes et le Gouvernement fédéral à partir des années 1850, stipulaient la restitution partielle, aux « Premières Nations », des terres ancestrales indûment spoliées. Assigner les « Native People » dans des Réserves géographiquement délimitées mais sans frontières matérialisées, compensait modestement la perte de leurs immenses territoires. Pouvoir exprimer leurs cultures et leur mode de vie lié à la pêche, chasse, cueillette de baies sauvages, fruits, légumes, herbes médicinales, était légitimé dans les Traités. La reconnaissance ultérieure des spoliations des peuples amérindiens, par le Président Kennedy, leur a donné une nouvelle force.
L’autorisation d’ouvrir des Casinos, lieux de jeux, en référence à leurs appétences historiques pour les joutes, est arrivée tardivement, et toujours dans cet esprit de compensation.
Une opportunité lucrative bien négociée !
Dans l’Etat de Washington et celui de l’Oregon, les Tribus Lummi, Yakama, Umpqua, Coquille, Warm Springs, Nez Percés, Umatilla vivent aujourd’hui en paix ; elles préservent leur étonnante culture et développent un « business » lié à leur savoir-faire ancestraux : la pêche au saumon, la chasse au bison, la production au naturel de certains fruits, légumes, légumineuses et plantes médicinales.
Aujourd’hui, la Reconquête des Indiens est encore en marche.
Nourriture essentielle et fondamentale des Indiens des Etats de Washington et de l’Oregon, le saumon, animal fragile, est respecté, sacré, et même déifié ! Comme en témoigne chaque année, les cérémonials autour du saumon et le lien spirituel quasi-religieux ainsi exprimé. Autrefois les Indiens ne prélevaient que le nécessaire à la vie ou la survie ; le gaspillage était impensable.
La surpêche et le gaspillage ont entraîné au 20ème siècle une raréfaction du poisson ; il a failli disparaître de la Columbia River, rivière mythique de l’Ouest américain.
Ses affluents, la Snake River, la Umatilla River et la Klikikat River n’ont plus vu frétiller un saumon pendant 70 ans !
A présent, la pêche du poisson sacré est contrôlée, régulée.
Les Tribus Yakama, Warm Springs, les Nez Percés les Umatilla ont des « Resorts » de pêche dédiés, le long de la Columbia River et se partagent avec respect leur butin, selon les nombreuses variétés de saumon, et leurs périodes de reproduction.
Il est attrapé, capté à l’ancienne dans des filets directement installés à même le cours du torrent.
C’est spectaculaire à voir !
Afin que le grandiose barrage créé à Portland ne bloque pas la migration naturelle du saumon, des échelles de passage aident le poisson à remonter le cours tumultueux de la
rivière ; les esturgeons qui peuplent plus modestement la Columbia River n’ont pas cette aptitude à remonter le courant. Ils n’utilisent pas les échelles de passage et ne concurrencent pas la pêche du poisson sacré ; la capture des esturgeons est également régulée.
Le saumon est toujours cuit au naturel, au four, sur une planche de bois d’acajou ou de cèdre, selon les coutumes ancestrales. Ce mode de cuisson lui donne un goût boisé et fumé inimitable.
La planche de bois utilisée peut durer une dizaine d’années sans se consumer !
Le poisson est vendu frais par les Indiens, sur des étals précaires dans des lieux dédiés ou séché et fumé grâce au travail artisanal de petites entreprises locales ; il est sous cette forme beaucoup exporté au Canada tout proche et au Japon.
Le bœuf de race « Black Angus »
A Canyonville, Oregon, la Tribu des indiens Umqua possède une spécialité : la confection de « Jerkys » : il s’agit de languettes de bœuf « Black Angus », bœuf de très haute qualité gastronomique , découpées en fines lamelles et séchées de façon traditionnelle à l’énergie électrique, au lieu du bois autrefois utilisé. Aromatisés aux produits naturels comme sel, poivre, ail et souvent légèrement sucrés au sirop d’érable ou au sucre brun, les « Jerkys » sont entièrement préparés manuellement (excepté la découpe), par une petite entreprise artisanale occupant 12 salariés à temps plein. C’est un produit phare de la Tribu .
Autrefois, le bison et le daim étaient les seuls animaux chassés, le bœuf n’avait pas encore foulé le sol des territoires amérindiens.
Aujourd’hui quelques élevages de bisons réapparaissent dans l’état de Washington.
Difficile à chasser et à tuer sans danger avec les arcs dont les Indiens disposaient à l’époque, même ultérieurement avec un fusil européen dont ils avaient appris le maniement, de grands élevages de bisons sont aujourd’hui impossibles.
Joueur, futé et même très intelligent, cet animal rapide est utilisé pour l’entraînement des chevaux. Les ranchs d’élevage actuels ne dépassent pas 10 à 25 bêtes. Les bisons sont donc aujourd’hui peu nombreux sur ces terres ancestrales des Indiens d’Amérique.
Viande délicieuse, maigre, anticholestérique, goûteuse en steak au barbecue, ou bien en tartare aromatisé d’épices car la chair accepte les condiments, elle se prête à la créativité culinaire et fait l’objet d’un concours de cuisine qui a lieu chaque année en octobre dans un des Casinos des Réserves des deux Etats : le « Concours des Grands Chefs des Casinos des Réserves ».
Le site Umpca Indian Foods
Le « Cranberry » ou canneberge, fruit culte et historique
Dans cet abondant espace naturel, ce climat particulièrement doux et humide de l’Etat de l’Oregon, les cultures vivrières sont florissantes : baies sauvages comme les succulentes « huckleberries », variété de bleuets, les fruits des églantiers, pommes, asperges, raisins sont cultivés dans de nombreux vergers, propriétés des Réserves.
Le « Cranberry », fruit mythique puisque nourriture de survivance des premiers immigrants débarquant du Mayflower, est une airelle dont les « Native People » étaient friands.
Cousine de la myrtille, cette petite baie rouge issue d’un arbuste à feuilles persistantes pousse dans les tourbières de l’Etat de l’Oregon. Ses effets bénéfiques pour la santé, sa couleur rouge profond due à la présence d’anti-oxydants, sont scientifiquement démontrés.
La Tribu des Coquille (aujourd’hui 700 personnes) cultive encore aujourd’hui les canneberges de façon « organic » c’est-à-dire biologique sans engrais chimiques et pesticides, ou de façon conventionnelle ( 50% de la production).
Incorporés à leur cuisine comme ingrédients, consommés au naturel en jus de fruit ou bien séchés façon raisins de Corinthe, les « cranberries » et leur unique récolte annuelle en octobre, permettent aux membres de la Tribu et aux non-indiens salariés des entreprises locales de North Bend, une certaine aisance financière.
La Tribu des Indiens Coquille, n’ayant pas signé de Traité avec le Congrès américain a été « légalement » dépossédée de ses terres. Au fil du temps, elle tente de récupérer quelques hectares de ses anciens territoires : la Reconquête des Indiens prend ici tout son sens.
Le site Coquille Cranberries
Le site Coquille Tribal Community Fund
Le site Yakama Nation Land Enterprise
Les plantes guérisseuses
La plus connue, l’échinacée, est une plante herbacée vivace originaire d’Amérique du Nord.
Elle pousse dans les prairies au début de l’été et donne de grosses fleurs de couleur parme rappelant la marguerite.
L’échinacée était historiquement utilisée comme plante médicinale par les amérindiens qui en mâchaient la racine pour réaliser des cataplasmes en cas de morsure de serpent. Aujourd’hui elle permet de réduire l’intensité des symptômes du rhume (écoulement, nasal, maux de gorge, frissons).
Le chef de la Lummi Nation, Bill James et sa famille, confectionnent à partir d’herbes médicinales des tisanes, infusions mis en vente à leur domicile et à la boutique du Musée des Traditions Populaires à Ferndale ( WA).
Retour à l’Indianité
La « Réserve » indienne , système économique et sociétal créé, développé, inscrit dans les différents Traités ratifiés entre les Chefs indiens et le Congrès américain, n’est qu’un pis aller pour les amérindiens des Etats-Unis d’Amérique.
Mais leur sort aurait pu être pire ; cet enfermement sans frontières a finalement eu le mérite de préserver leur culture dont ils sont fiers ; elle aurait pu se déliter dans l’American Way of Life, et le « Melting pot », creuset d’une importante mosaïque culturelle.
Les valeurs éthiques véhiculées par ces tribus reposent essentiellement sur le principe de l’harmonie entre les humains et la nature dont les éléments sont vénérés comme des
divinités.
Aujourd’hui encore, la « Mère Terre », garde-manger à la richesse insoupçonnée est magnifiée sans ostentation.
Assurer le futur pour « 7 générations », préserver une façon de vivre sans gaspillage, ordonner le paysage par une certaine forme d’agriculture, développer au sein de la
communauté la prise en charge des exclus, des sans-foyers, des adolescents-parents est un message fort.
Certes l’aide financière des Etats de Washington et de l’Oregon est importante en ce qui concerne la santé, l’éducation, la sécurité. Les ressources générées par la gestion de Casinos, les « business » développés en agro-alimentaire démontrent la possible cohabitation entre deux cultures : celle fondée sur l’économie de marché et la croissance intensive, et celle des peuples indigènes basée sur les traditions et le respect de l’écosystème. Cependant, cela ne suffit pas car le taux de chômage et la délinquance sont élevés dans les Réserves.
Il reste que la spiritualité inhérente à cette culture proche de la nature est un îlot d’authenticité dans un pays envahi par le culte de la consommation.
C’est une chance à saisir pour la génération actuelle d’américains et pour celles à venir, de pouvoir se rapprocher du mode de vie, du mode de pensée des « Native People », et de s’enrichir de cet Héritage.
Dans cet esprit, les authentiques produits agro-alimentaires estampillés « Made by American Indians » devraient avoir le vent en poupe.
Curieux, avides de nouveautés, rendez-vous en 2011 aux nombreux Salons Internationaux de l’Alimentation, S.I.A.L, de part le monde (Abu Dhabi, Montréal, Buenos Aires) et en octobre 2012, à Paris-Villepinte pour découvrir en avant-première les nourritures terrestres des Indiens des Etats de Washington et de l’Orégon, produits de très haute qualité de leurs Terroirs.
A signaler aux éditions Boréales, la parution inédite de l’ouvrage « PachaMama Cuisine des Premières Nations (VOIR LA VIDEO) », du Chef de cuisine Québécois de la Tribu des Montagnais, Manuel Kak’Wa Kurtness, premier livre de recettes autochtones ; il a obtenu le Grand Prix La Mazille International au Salon International du Livre Gourmand de Périgueux, le 12 novembre 2010.
Le site Intertribal Agriculture Council
Geneviève GUIHARD pour laradiodugout.fr