Et si Périgueux tournait la page gourmande…

tableu de Carine Chever exposé dans le cadre du SILG©thierry bourgeon/laradiodugout.fr

tableau de Carine Chever exposé dans le cadre du SILG©thierry bourgeon/laradiodugout.fr

Il est loin le temps héroïque du Salon du livre gourmand de Périgueux.
Imaginé par Yves Guéna, le maire de l’époque, initié par son successeur Xavier Darcos en novembre 1990, ce salon a connu son heure de gloire.

Xavier Darcos me rappelait cette semaine lors du Congrès Relais & Châteaux à Paris, « cette fabuleuse rencontre au sommet » à Périgueux lors du Salon 1996. Chirac et Kohl célébraient la réconciliation gastronomique franco-allemande ( dont la restauration fut orchestrée par Hélène Darroze). Le président de la République française s’était déplacé en personne pour remettre à Hannelore Kohl le prix La Mazille, censé récompenser le meilleur livre gourmand de l’année. Dans son illustre ouvrage intitulé « Voyage culinaire à travers les régions allemandes » Mme Kohl avait rassemblé en 240 pages plus de 300 recettes, accompagnées de considérations générales de son mari sur les paysages et traditions des régions allemandes. Quel coup de pub! Chirac et Kohl à Périgueux. Le Salon déjà national était devenu européen, voir international.
Certains diront que c’était inscrit. Périgueux, ne fut-elle pas la première ville d’Aquitaine à avoir imprimé un livre dès la fin du 15e siècle.
Son salon reste l’un des plus anciens événements français dédiés à l’actualité de l’édition gourmande.
Et c’est là tout le problème. L’âge n’arrange pas forcément les choses.

SILG 2014 ©thierry bourgeon/laradiodugout.fr

SILG 2014 ©thierry bourgeon/laradiodugout.fr

Périgueux, le SILG?

De grâce ne parlons pas d’un salon international. Aujourd’hui, seulement à peine 10% des livres français sont traduits. J’ai pu le constater lors de la remise des Awards Cook Books au printemps dernier à Pékin où l’édition française faisait triste mine face à l’explosion des livres de cuisine à travers le monde. L’initiateur de l’évènement chinois, le français Edouard Cointreau, avait déjà créé il y a 4 ans Paris Cookbook Festival réunissant pour la première fois au CentQuatre plus de 200 éditeurs de livres de cuisine et du vin, venus du monde entier afin de présenter leurs ouvrages aux professionnels , au grand public , aux journalistes et aux blogueurs.

Périgueux, un salon de l’édition gourmande tricolore?

Michel Troisgros en action ©thierry bourgeon/laradiodugout.fr

Michel Troisgros en action ©thierry bourgeon/laradiodugout.fr

Reconnu dans son domaine, ce rendez-vous devenu incontournable l’est-il encore au bout de 25 ans? N’a-t-il pas manqué, par exemple, la révolution numérique qui a bouleversé toutes nos recettes traditionnelles?
Certes le prix La Mazille garde la cote: Fish par Philippe Emanuelli aux éditions Marabout, s’est vu justement honoré  cette année par Michel Troisgros, le lauréat en titre (prix La Mazille 2012 pour son ouvrage La Colline au Colombier), président du jury et parrain de l’édition 2014.
Mais le salon lui-même doit faire face à une sérieuse concurrence. La capitale s’y met. Déjà pour la première fois, le livre de cuisine, s’exposait en mars dernier au Salon du Livre, à Paris. Il était la vedette au sein du Square Culinaire, sur plusieurs centaines de m2.

Périgueux, un salon régional?
L’an dernier déjà, certains , dont je fais partie, avaient alerté sur les risques de perte d’audience chez les journalistes comme chez les éditeurs et les toqués du Net. Et voilà que cette « institution » à Périgueux est menacée sur son propre terrain par …la capitale régionale.
Ce mois ci, le Parc des expositions de Bordeaux organise un salon professionnel, Exp’Hôtel, avec une cinquantaine de chefs invités pour des démonstrations. Et surtout, la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Bordeaux propose le week-end prochain « Bordeaux so good« , un événement culturel et gastronomique. La Région Aquitaine a sans doute les moyens et le sens des réalités.
Curieux télescopage tout de même, en ces temps d’économie pour ne pas dire de disette.

Périgueux, un salon départemental?
Il en a pris le chemin et ce n’est pas forcément le plus mauvais. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un manque d’ambition manifeste.
20.000 visiteurs sont attendus, autour de 140 animations différentes et de 240 ouvrages. Pas mal pour un département de 413 800 habitants.

atelier culinaire ©thierry bourgeon/laradiodugout.fr

atelier culinaire ©thierry bourgeon/laradiodugout.fr

Ce salon organisé par l’association CLAP (Culture Loisirs Animations Périgueux) s’adresse aux locavores de la lecture. Toutes ses animations le prouvent: les chapiteaux de l’esplanade Badinter abritant les libraires de la ville. les démonstrations culinaires sur la grande scène du théâtre, le concours de pizza remporté par le café Louise, le restaurant d’application La Mazille, le bus gourmand  et la ferme périgourdine de la Place Bugeaud, le Chemin des soupes à travers les estaminets de la cité, les spectacles parallèles de musiques et contes…L’expo de peintures gourmandes de la Société des Beaux-Arts du Périgord…

Diner de gala à la sous-préfecture. Peinture à l'huile de Marcel Pajot, exposée dans le cadre du SILG ©thierry Bourgeon/laradioddugout.fr

Diner de gala à la sous-préfecture. Peinture à l'huile de Marcel Pajot, exposée dans le cadre du SILG ©thierry Bourgeon/laradioddugout.fr

Seulement voilà bien d’autres cités se partagent aujourd’hui le festin littéraire. Qui n’installe pas, sur la grand ‘place, ses tréteaux de livres de cuisine?
La commune nordiste de Phalempin accueillait ce week-end son Salon du livre culinaire avec la participation du Furet du Nord. Beynat en Corrèze a également son salon, un vrai « Festin d’Auteurs » au printemps. Des salons du livre gourmand en veux-tu en voilà: Maurecourt dans les Yvelines, les communes de Mauriac, Arches, Auzers et Maellet dans le Nord-Cantal proposent, modestes, un p’tit salon. Roanne offrait le mois dernier son salon gourmand et littéraire, à Tours ce sera début décembre, une première au cœur du jardin de la France et de la Vallée de la Loire.

BD sur la truffe. Modernité et tradition©thierry bourgeon/laradiodugoput.fr

BD sur la truffe. Modernité et tradition©thierry bourgeon/laradiodugoput.fr

Alors si il y en a qui se trouvent désormais trop à l’étroit on pourrait imaginer que Périgueux devienne un Salon du Livre Gourmand de Pays. (SLGP) avec des animations qui mettraient en valeur la passion et la modernité des cuisiniers, des producteurs, agriculteurs, éleveurs, viticulteurs, industriels, auteurs, consommateurs et internautes de ce terroir que beaucoup nous envient.

C’est peut-être son avenir. Après tout le Périgord est une vraie marque connue dans le monde entier. Les bretons ont aussi la leur. Saint-Brieux a bien créé son Salon breton du livre et du gourmet.

Réveille-toi Périgueux, tourne ta page gourmande. C’est Mme La Mazille qui serait contente!

Thierry Bourgeon. 23 novembre 2014. laradiodugout.fr

8 Responses

  1. Paule Elliott dit :

    Je pense que cet article est celui d’un pro, tout autant qu’il vient du coeur.

    En dehors de l’état d’esprit bien français de se reposer sur ses lauriers, le problème tient à ce que les personnes, officielles et /ou privées, se contentent de copier le voisin plutôt que d’innover, chercher un angle différent et surtout complémentaire….
    Avec pour résultat des télescopages, des divergences, des jalousies, des concurrences déloyales…tout le monde y perd!

    Cela rejoint l’état d’esprit du pays UN OBJECTIF COMMUN et chacun y met ce qu’il a de mieux.
    Paule Elliott

  2. Durignieux dit :

    Bien vu Thierry ; nul ne change rien qui ne change tout ! la routine crée la morosité. A bientôt à Sorges autour d’une omelette ?

  3. SERRE dit :

    Bravo pour cette remarquable et pertinente analyse. Je la partage totalement et sans modération. En fait, c’est tout ce que j’aurai aimé écrire et que je n’ai pas osé tapoter sur mon clavier de peur de prendre une décharge électrique ou de « planter » mon ordinateur. Merci Thierry ça c’est du journalisme !

  4. Noelle B dit :

    Super article!
    Nouche

  5. philippe lefevre dit :

    Effectivement gros coup de blues !
    Philippe Lefevre

  6. Benoît C dit :

    Le salon est « victime » de l’évolution de notre société à l’égard du livre de cuisine. Comme tout ce qui se démocratise, le nivellement se fait par le bas, et la « littérature » gastronomique n’y échappe pas … soit on veut attirer du monde, et on succombe aux sirènes de la masse, et devient par là même un salon lambda, soit on persiste dans la niche de la qualité, au risque de se fermer au grand public, et donc de mettre en danger le modèle économique du salon … dur dilemme

    Benoît C

  7. Alain Q dit :

    Tu as raison dans ce bel article, à se regarder trop le nombril l’on oublie souvent de regarder plus loin.
    Alain Q

  8. claudine salmon dit :

    Cela me fait penser à notre amie trop tôt disparue Anne HUDSON.
    Nous étions ensemble à Périgueux. Je n’ai jamais mangé autant de foie gras, du petit déjeuner au dîner!
    C’était le bon temps!