Après 38 ans de règne sur le Crocodile, institution culinaire strasbourgeoise de renom, le chef étoilé Emile Jung a passé la main à Philippe Bohrer, 48 ans, qui sans vouloir révolutionner le passé a choisi une évolution en douceur du lieu et de sa carte.
A la barre du restaurant depuis juin, Philippe Bohrer reconnaît qu’il a pris une grande responsabilité. Il se dit « fier », « excité » même. « Ce n’est pas simplement une affaire que l’on reprend. C’est un coin d’histoire alsacienne, et je m’en aperçois seulement maintenant », confesse celui qui a reçu sa première étoile Michelin en 1992 pour le restaurant qui porte son nom à Rouffach (Haut-Rhin).
Avant de reprendre cette enseigne, Philippe Bohrer et les Jung ont mis 18 mois à s’apprivoiser et se comprendre, explique un proche collaborateur. « Ils ont été rassuré de trouver en (Bohrer) un cuisinier passionné et alsacien ».
Impressionné par le lieu et par la hauteur du défi de retrouver les deux étoiles de son prédécesseur au Michelin, M. Bohrer entend rendre hommage à l’histoire séculaire du « Croco », en l’inscrivant dans la plus pure tradition de la « Mitteleuropa » alliée à l’esprit du XXIe siècle. Selon lui, Strasbourg a toujours été un carrefour de mélanges des cultures française, juive et austro-hongroise.
Depuis le 12 août, le Crocodile propose une carte du moment avec des plats portant la signature Bohrer comme le carré d’agneau Ackermann aux épices arabes et au lait d’amande, « clin d’oeil » à l’époque coloniale, ou le cabillaud à la croûte de raifort, ce condiment à base de radis noir utilisé notamment en Alsace.
La signature de Jung, elle, se lit entre les lignes avec le célèbre foie gras de canard en croûte de sel ou des variations à la Bohrer.
« J’aime la cuisine qui est ancrée dans la culture alsacienne », aime rappeler le jeune chef qui a fait ses armes chez Paul Bocuse et a oeuvré en tant que cuisinier privé de Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand à l’Elysée.
Son regret, que la cuisine d’Alsace soit assimilée à la seule choucroute. C’est pourquoi il revendique simplement une « cuisine des bons produits et de cueillette ».
Et de citer ses herbes et ses fruits favoris comme la pimprenelle, la reine des prés du Piémont vosgien ou la prunelle sauvage qu’il entend marier bientôt avec du foie de canard.
Côté intérieur, avec le concours de son épouse Marie-Laure, Philippe Bohrer a voulu un style plus léger. « Des petites touches visibles dans le détail », tels ces nouveaux abats-jours de lampe de table qui assurent une ambiance feutrée mais lumineuse, des tabourets pour poser le sac à main de Madame ou encore ces écailles discrètes sur la vaisselle.
Les habitués ne devraient pas se sentir déroutés. Les boiseries on été conservées et le fameux crocodile, dont la légende veut qu’il ait été capturé durant la campagne d’Egypte par le capitaine Ackermann, aide de camp du général Kléber, domine toujours la salle, grandeur nature, comme l’immense tableau du peintre du XIXe siècle d’Adolphe Grison.
En conservant l’équipe d’Emile Jung, qui reste consultant, Philippe Bohrer doit maintenant accompagner la transition à cause de « certitudes et d’habitudes assises depuis 30 ans (…) Mais la mayonnaise prend bien ». Le Crocodile selon Bohrer, doit avant tout être « un lieu de raffinement et d’art de vivre ».
Avec son directeur, Gilbert Mestrallet, ancien meilleur sommelier de France et « maître de maison », il veut décrocher « deux étoiles en deux ans. Après, tout est imaginable ».
(source: AFP)