Plus que les pièces et autres récits de Pagnol, je me régale de ses préfaces racontant la genèse de ses textes. Avec un énorme faible pour l’amitié et la mauvaise foi des lascars Pagnol et Raimu, et leurs effets secondaires.
« […] un soir, à minuit, après deux longues répétitions [de Fanny], je n’eus pas la force d’aller souper avec Raimu, pour aller dormir chez moi.
Sur les trois heures du matin, des coups de sonnette répétés me réveillèrent : je trouvais devant ma porte Léon et Simone Volterra [le Patron, directeur du théâtre, et sa femme].
Sans un mot, Léon passa devant moi, jeta son chapeau sur un guéridon et dit :
– Je viens te prévenir : ton ami Raimu ne jouera pas Fanny.
Il était pâle et mordait ses dents avec tant de force qu’on voyait se gonfler les muscles sous chaque oreille.
Je crus à un malheur.
– Il est mort ?
– Oui, dit Léon. Pour moi il est mort. Par qui veux-tu le remplacer ?
Je fus stupéfait car je les avais quittés fort bons amis. Je demandai :
– Que s’est-il passé ?
– C’est une affaire personnelle. Je te donne ma parole que cet individu ne remettra jamais les pieds chez moi.
Je regardai la Patronne. Elle me présenta un profil impérial et ne dit rien. […]
– Asseyez-vous dis-je et buvons d’abord quelque chose, car je ne suis pas tout à fait réveillé, et je me demande si je ne rêve pas.
La Patronne prit un siège, mais Léon resta debout, muet, les poings sur les hanches. Je servis, en silence, trois petits verres de Chartreuse jaune. Léon répéta :
– Qui veux-tu que j’engage à sa place ?
– Il faut prendre une décision tout de suite, dit la Patronne […]
– La mienne est prise, dit Léon. Viens demain de bonne heure à la répétition et tu assisteras à son exécution publique.
Ils sortirent sans avoir touché à leurs verres. […] Quel pouvait être le motif de cette décision radicale ? J’essayai de téléphoner à Jules [Raimu]. Point de réponse. Pensif, je pris un verre de Chartreuse pour me réconforter.
Je l’avalai d’un trait et fut tout d’un coup écoeuré ; […] trompé par la belle couleur jaune d’or, j’avais servi de l’huile d’olive. »
extrait de la préface de « Fanny » rédigée par Marcel Pagnol (photo: Marcel Pagnol et Jules Raimu sur scène en 1929/DR)
Marie-Victoire BERGOT. laradiodugout.fr