Une mienne amie, à qui j’ai proposé un jour une boîte de mes madeleines pour calmer son petit creux de dix heures, m’a parlé d’un auteur soviétique dont les textes la font pleurer de rire tant ils paraissent absurde. J’ai lu, j’ai ri, j’ai éternué, je vous livre « ce qu’on vend au magasin aujourd’hui », que vous pouvez aussi entendre en cliquant sur le lien en bas de page.
Koratyguine est passé chez Tikakéiev mais ne l’a pas trouvé chez lui.
A ce moment-là, Tikakéiev était au magasin où il achetait du sucre, de la viande et des concombres.
Koratyguine traînait depuis un moment derrière la porte de Tikakéiev et s’apprêtait déjà à lui écrire un mot quand, tout à coup, il voit arriver Tikakéiev en personne qui porte un cabas en toile cirée.
Koratyguine voit Tikakéiev et lui crie :
– Ça fait une heure que je vous attends !
– Ce n’est pas vrai, répond Tikakéiev, ça ne fait pas plus de vingt-cinq minutes que j’ai quitté la maison.
– Ben ça, je n’en sais rien, dit Koratyguine, seulement moi, je suis là depuis une heure.
– Ne me mentez pas ! dit Tikakéiev. C’est honteux de mentir
– Votre honneur ! dit Koratyguine. Essayez de choisir vos expressions.
– J’estime… allait commencer Tikakéiev, mais Koratyguine l’interrompt :
– Si vous estimez… dit-il
Mais là, Koratyguine l’interrompt :
– Ah ! Toi-même !
Ces mots ont mis Koratyguine tellement hors de lui qu’il s’est bouché une narine avec un doigt en mouchant l’autre sur Tikakéiev.
Alors Tikakéiev a saisi dans son cabas le plus gros concombre et il l’a écrasé sur la tête de Koratyguine.
Koratyguine s’est pris la tête à deux mains et il est mort.
Quels gros concombres on vend aujourd’hui en magasin !
Daniil Harms (né Daniil Ivanovitch Youvatchev, maître de l’absurde russe), 19 août 1936
lien pour entendre ce texte lu en musique : http://harms.free.fr/auteur.htm
Marie-Victoire BERGOT. laradiodugout.fr