La petite madeleine de Marie-Victoire: Bordeaux, 27 mars 1868

vignettee8929efad700fd9554f91d67e0a08a33Monsieur Abric, épicier droguiste de Sommières dans le Gard, a reçu une correspondance tout à fait délicieuse des directeurs de la société A. du Souchet & Cie, propriétaires et négociants à Bordeaux, rue Borie n°40. Je suppose que dans le contexte de l’époque, cette information était plus que banale. Avec le recul, le message commercial se révèle infiniment savoureux. Je vous laisse apprécier le fond et la forme (j’ai respecté la casse, à défaut de pouvoir vous faire toucher du doigt le papier et ses armoiries) :
 
Bordeaux, mars 1868
 
Monsieur,
 
Pour satisfaire à la demande qui nous été faite, à diverses reprises, par un grand nombre d’Agents de la Société, nous mettrons prochainement, à disposition de nos clients quelques lots de vins de 1866.
 
Il est de notre devoir de prévenir nos Correspondants que les vins de l’année 1866 sont généralement mauvais. On en trouve, toutefois, quelques-uns de passables. [Eh oui, ils ont osé !]
 
Dans ces derniers, nous avons fait un choix, et, à partir de fin courant, nous pourrons offrir :
 
Des Bas-Médoc 1866
Des Bourg 1866
Des Bordeaux 1866, à F. 100 la barrique.
 
Sous cette dénomination « Bordeaux 1866 », nous comprenons les choix faits dans les vins de Lamarque, Listrac, Montferrand, etc. Nous nous occupons, en ce moment, de leur soutirage ; ce qui retardera nos expéditions, pour ces vins-là, jusqu’à la fin du mois courant.
 
Dans quelques jours, nous aurons l’avantage de vous transmettre les cours de 1867.
 
Nous devons vous prévenir que NOS PETITES COTES, à F. 110, s’épuisent journellement, et qu’avant longtemps nous devrons les retirer du Tarif.
 
Pour profiter des prix actuels, il est urgent de ne pas différer les achats. Donnez connaissance de la situation à vos clients, et dites-leur bien qu’il n’y a pas lieu d’espérer une réduction dans les cours, par les raisons suivantes :
 
1.Les 1865 deviennent de plus en plus rares, et le peu qui reste ne peut peser sur le marché. Ce sont des vins d’avenir, qui, en vieillissant, augmentent chaque jour de valeur, dans une proportion etc. [Je vous épargne le baratin commercial, la suite des cocasseries arrive]
 
2.Les 1866 ont fourni un assez large aliment aux exportations en Australie et dans l’Amérique du Sud, pays où la consommation s’accommode de vins qu’on repousserait absolument en France. Les lots passables se sont écoulés à Paris. Ce qui en reste, en ce moment, se borne à quelques rares partis, les mieux réussis de l’année, et pour lesquels les producteurs sont certains d’obtenir des prix relativement élevés, puisqu’ils n’auront point de concurrence à craindre.
 
[Le lettre circulaire continue sur des considérations économiques cyniques mais classiques, rebelotte : je zappe pour vous délivrer la chute]
 
Voilà notre position. Nous vous l’exposons dans toute sa vérité. A votre tour, faites-la connaître à vos clients, qui agiront comme l’intérêt l’exige.
 
Nous vous offrons, Monsieur, nos salutations bien affectueuses.
 
A.DU SOUCHET et Cie, Directeurs

Marie-Victoire BERGOT / laradiodugout.fr

2 Responses

  1. Dollie dit :

    Thanks for sharing. What a plesurae to read!

  2. Michèle dit :

    si déjà en 1860 on sait vendre de la piquette, on imagine aisément comment depuis, certains sont devenus des as du mensonge et de la manipulation commerciale… tout un art, ça…