Les 35 000 boulangers de France et de Navarre attendent la décision comme… du pain bénit. Cet automne, si tout va bien, la baguette « de tradition française » devrait faire son entrée au patrimoine culturel de l’humanité. Annoncée en mars par la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, la candidature auprès de l’Unesco a été servie dorée sur tranche aux médias par la présidente du comité de soutien pour le classement de la baguette, la sénatrice Catherine Dumas (LR) : « C’est un peu l’ADN de la France qui est mise à l’honneur de cette façon. »
La face/croûte cachée du pain d’aujourd’hui
De quoi faire oublier que l’an dernier, lors de la Coupe de France de la boulangerie, organisée tous les quatre ans, c’est la Chine qui a raflé la médaille de la meilleure baguette devant le Japon et le Danemark – la France pleurnichant au pied du podium… Du grumeau (à défaut de rififi !) dans le fournil !
En fait, la fameuse « tradi », avec son cahier des charges aux petits oignons fixé par décret, limitant à quatre le nombre d’ingrédients autorisés (eau, farine, sel et levure au levain) et obligeant l’artisan boulanger à la pétrir et à la cuire sur place, est « l’arbre à pain » qui cache la forêt meunière : elle ne représente que 20% des 10 milliards que nous engloutissons chaque année. L’occasion d’aller regarder de plus près ce qui se passe à potron-minet dans les coulisses du fournil…, ce qui ne mange pas de pain, si l’on suit notre cher confrère Christophe Labbé du « Canard en chaîné».
On n’est pas non plus déçu du voyage croustillant en compagnie du vénérable philosophe Michel Serres dans son petit bouquin « C’était mieux avant ». Il y écrit : « Ah ! La provenance ! Quant au pain, sa farine coulait du blé que nous moissonnions et que nous portions au moulin. Un matin, à déjeuner, j’ai même trouvé la chique du mitron dans la mie de pain de ma tartine, sous l’absence de beurre. Alors, oui, nous protestâmes à la boulangerie. Et le vieux pétrisseur éclata de rire : « Vous n’y connaissez rien ! A la température du four, mes microbes, si j’en porte, et j’en doute, sont assassinés par la chaleur ; vous ne risquez pas d’attraper ma chaude-pisse ! »
Bigre, quel folklore fleuri qui ne manque pas de sel ! Aujourd’hui, en cette fin d’année 2021, le goût farineux du risque existe, voire persiste et signe dans le fournil envahi de plus en plus par la technologie, la sous-traitance, la rapidité et la facilité. Dominée par quatre groupes minotiers fournissant à eux seuls la moitié de la farine, l’industrie meunière française a eu vite fait de proposer aux boulangeries des « solution de panification » – autrement dit des prémélanges (ou prémix jamais sans leur 12% de gluten) -, réduisant la durée du pétrissage et du levage, et permettant de fabriquer le pain en trois heures au lieu de six à douze heures requises en tradi (ou rétro). Autant de fournées gagnées !
Et on n’a pas fini de manger notre pain blanc !
Tout ce qui, dans une boulangerie, n’est pas estampillé « tradition » a souvent peu à voir aujourd’hui avec le pain d’antan. Faudrait pas que l’Unesco ait l’impression d’être roulée dans la farine…
Christian Duteil/ septembre 2021/laradiodugout.fr