À chaque pays ses batailles alimentaires. Le Prix Nobel de physique Giorgio Parisi pensait ne pas risquer grand-chose en jouant les astucieux économiseurs d’énergie autour de la cuisson des pâtes, plat national et symbole identitaire en Italie (ler consommateur au monde avec 23,5 kg par habitant et par an). Le physicien s’est donc décidé à partager sa science de « la pasta » à feu doux sur Facebook pour en faire profiter le plus grand nombre en ces temps de pénurie d’énergie : “La chose la plus importante c’est de tenir toujours un couvercle sur la casserole.. Après que l’eau commence à bouillir, je baisse le gaz au minimum. On peut aussi l’éteindre complètement […]. Je pense que les pâtes cuisent quand même.” Une technique de cuisson des pâtes consistant à éteindre le feu une fois l’eau arrivée à ébullition, afin de faire quelques économies d’énergie.
En prenant mille précautions – parmi lesquelles celle de souligner qu’il ne faisait que relancer un vieux conseil apporté par quelqu’un d’autre –, Giorgio Parisi a ainsi suggéré aux Italiens de cuire leurs pâtes à feu bas, voire à feu éteint. Une sorte d’astuce de grand-mère pour faire baisser la facture d’énergie, mais un « sacrilège » qui va justement à l’encontre des préceptes enseignés par toute une génération de grands-mères en matière de cuisson des pâtes à blé dur. (8 mn de cuisson pour 100 g de pâtes dans 1 litre d’eau froide qu’on fait bouillir en y ajoutant alors 10 g de sel) Et en Italie, on ne plaisante pas avec la tradition culinaire. Surtout lorsqu’on s’attaque à un aliment emblématique transformé en sentiment vital: « La vie est une combinaison de magie et de pâtes » clamait à qui voulait l’entendre le cinéaste Fédérico Fellini.
Le débat s’est vite enflammé sur les réseaux sociaux, et ensuite, dans les titres italiens de presse : les journaux ont fait appel à des experts pour trancher cette question brûlante qui divise le pays des pâtes. Ainsi, dans les colonnes du quotidien romain La Republica, “le chef Antonello Colonna ne valide pas la proposition de Giorgio Parisi”. La cuisson dite “passive” entraînerait selon lui “une consistance mollasse” des pâtes. Moins diplomate, l’écrivain Mauro Corona a même exhorté Parisi “à ne pas dire de bêtises”, en l’invitant “à s’occuper de ce pour quoi il a reçu le prix Nobel”, indique Il Fatto Quotidiano, autre journal de la capitale.
Néanmoins, les défenseurs de la “méthode passive” ne manquent pas, et parmi eux s’inscrit le Corriere della Sera, qui, tout en soulignant les difficultés de la méthode (nécessité d’avoir un matériel adéquat, impossibilité de mélanger les pâtes pour qu’elles ne collent pas) semble finalement donner raison à Parisi. Une récente étude promue par les artisans de pâtes de l’Unione italiana food est claire sur le sujet : utiliser un couvercle pendant la cuisson permet d’économiser jusqu’à 6 % d’énergie”, rapporte le quotidien milanais, en mettant en avant le point de vue des experts du secteur (qui toutefois ne s’expriment pas sur la qualité du produit final). A chacun sa botte… de cuisson al dente !
Quoi qu’il en soit, la méthode à feu bas remis au goût du jour par Parisi semble pour le moins fonctionnelle et pragmatique, et à vrai dire, même avant l’intervention du physicien, nombreux sont ceux qui affirment qu’ils connaissaient déjà l’astuce, voire la pratiquaient en douce sans s’en vanter … Et donc que le prix Nobel de physique n’a pas inventé l’eau chaude.
Christian Duteil/janvier 2024/laradiodugout.fr