Oenologues, journalistes, courtiers : tout le gratin du monde viticole s’est réuni pour la semaine des primeurs de la région bordelaise. Au château d’Arsac, les producteurs n’ont que trois jours pour séduire de potentiels acheteurs. François Boivert, propriétaire du château des Ormes Sorbet, y joue la moitié de sa production annuelle. Rencontre.
François Boivert peine à masquer son impatience lorsqu’il arrive au château d’Arsac, où 250 crus bourgeois sont prêts à être dégustés.
Le château d’Arsac accueille la semaine des primeurs ©Jadine Labbé Pacheco
L’air est saturé d’une odeur de vin et de bois, perceptible avant même d’entrer sous le chapiteau. La semaine des primeurs, du 4 au 7 avril, est incontournable pour les petits châteaux comme Les Ormes Sorbet. Les producteurs découvrent la qualité de la cuvée 2015 pour la première fois.
Le chateau Les Ormes Sorbet est un Cru Bourgeois du Médoc. Cette alliance se charge de garantir la qualité du vin et de le promouvoir. ©Maïder Gérard
Même si François assure ne pas être stressé, son comportement le trahit. Il se dirige immédiatement vers la table des vins du Médoc, cherchant des yeux sa bouteille. Lui-même n’a toujours pas dégusté son vin. Le jeune propriétaire se sert un fond de son « nouveau-né » comme il l’appelle. Il fait lentement tourner le breuvage dans son verre, scrute la couleur rubis, plonge son nez dedans, et enfin le goûte d’un air solennel. Il s’éloigne pour réfléchir et revient plutôt satisfait.
François ne se contente pas de cette dégustation. Pour confirmer sa première impression, il doit aussi goûter les autres Médoc. « Je ne déguste pas les vins que j’aime, mais ceux de mes confrères vignerons », explique-t-il en saisissant une bouteille de château Lousteauneuf.
François Boivert est issu d’une famille de viticulteurs depuis quatre générations. Il a repris le château Les Ormes Sorbet en 2006, tandis que son frère est à la tête du château Fontis. ©Maïder Gérard
C’est parti pour une dégustation de tous les crus bourgeois similaires aux Ormes Sorbet. Le château Tour Haut Caussan est celui qui s’en approche le plus selon François. « On travaille de la même manière, d’ailleurs nos parents étaient amis. On a le même type de terroir, avec les mêmes moyens financiers », analyse t-il. Cette deuxième dégustation le conforte sur la qualité du millésime. C’est grâce à cette dégustation qu’il peut comparer le vin qu’il a produit l’année dernière à celui des propriétés voisines. « C’est aujourd’hui que je sais si je suis dans le vrai ou pas. Le but n’est pas d’être le meilleur mais de se différencier », lance t-il entre deux poignées de main.
©Jadine Labbé Pacheco
Après avoir goûté une dizaine de Médoc, il se ressert un verre de son propre vin. Avec le recul, le jeune propriétaire du château Les Ormes Sorbet prend du recul : « Je n’ai pas le sentiment d’être le plus tanique, mais je suis tout de même satisfait dans l’ensemble ».
De toute façon, son vin n’est pas fini. Tout comme les autres propriétaires présents ce jour-là, François a le temps de revoir ses assemblages. Le vin est encore en barrique. La mise en bouteille n’est prévue que pour 2017.
. L’échantillon gouté aujourd’hui a été spécialement créé pour la semaine des primeurs : « C’est un peu comme une photographie d’un instant, ça peut encore évoluer, explique François, là on est à la période où le bois commence à se fondre dans le vin, ça va donner de la rondeur et un peu de gras. On commence juste à avoir cette impression pour la dégustation des primeurs ».
Le château d’Arsac s’étend sur 112 hectares. Son propriétaire Philippe Raoux, passionné d’art, expose dans son domaine une vaste collection de sculptures. ©Jadine Labbé Pacheco
Mais pour les viticulteurs comme François, la semaine des primeurs ne consiste pas seulement à se jauger par rapport à ses confrères. Elle permet aussi d’évaluer la qualité du millésime 2015, et de prévoir les ventes des prochaines années. Le courtier Patrick Darroman goûte et critique les vins présentés à la semaine des primeurs. Il a déjà bien rempli son carnet de note. « J’en ai dégusté 150 hier, aujourd’hui je pense en faire 180 ».
Pendant plusieurs jours, vignerons, œnologues, courtiers et journalistes spécialisés dégustent la cuvée produite dans l’année. Ces spécialistes font la pluie et le beau temps dans le milieu. « Si un œnologue comme Robert Parker note bien mon millésime, j’ai vendu toutes les bouteilles en deux jours ! », s’exclame François. Et cette année, ils sont plutôt optimistes.
Avec cette bonne année, François Boivert espère vendre 40 000 bouteilles, soit près de la moitié de sa production. « Ca devrait compenser la mauvaise année 2013… », espère-t-il. Le vigneron compte augmenter les prix de 25 centimes en 2015, à 14,25 euros la bouteille. « Je vends à des particuliers qui sont habitués à mes prix, je ne peux pas me permettre de trop les modifier », explique-t-il. Les grands crus, eux, font fluctuer leur prix jusqu’à 40% selon la qualité du millésime.
Le producteur n’est pas seulement un passionné de la vigne, c’est aussi un chef d’entreprise. « Gérer et vendre, c’est le plus important pour un vigneron. J’aurais beau faire le meilleur vin du monde, si je ne le vends pas ça sert à rien, je n’ai pas une notoriété suffisante pour ça », admet François.
Audrey Dumain, Maïder Gérard, Jadine Labbé Pacheco, Amélie Petitdemange / avril 2016/ L’IJBA (Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine) pour laradiodugout.fr
