Grâce à la ténacité de quelques vignerons ardéchois regroupés sous la bannière du Syndicat des producteurs de Chatus, un cépage local oublié a ressurgi depuis quelques décennies en Ardèche : le Chatus répertorié sous le nom savant de vitis vifera dans la classification botanique et profondément ancré dans le patrimoine viticole ardéchois. C’est l’un des plus vieux cépages français. En 1599, dans la première édition de son « Théâtre d’agriculture et mesnage des champs », Olivier de Serres, précurseur de la viticulture moderne, cite le Chatus parmi une des 38 variétés de cépages composant le vignoble du royaume. Or, la quasi-majorité des cépages de cette liste historique n’existe plus aujourd’hui, seuls deux sur 38 ont survécu au manque d’intérêt, aux effets de mode et au phylloxéra : le Pinot et le Chatus.
Au XIXe siècle, le Chatus est principalement cultivé sur la bordure cévenole du Bas Vivarais, d’Aubenas à Bessèges, où il constitue la majorité de l’encépagement et fait partie intégrante du patrimoine ardéchois. La crise du Phylloxéra dans les années 1880 détruit la quasi-totalité du vignoble et fait disparaître le Chatus du paysage ardéchois et le raye de la carte… des cépages. Si au moment de replanter on lui a préféré des hybrides mieux adaptés à la production de vins de table, c’est que le Chatus est exigeant et ne ménage guère le vigneron qui s’en occupe. Il faut en effet le tailler en arcure, c’est-à-dire laisser de longs bois sur chaque cep et les attacher en arc de cercle sur le fil de fer. « Cela demande en réalité trois à quatre fois plus de main d’oeuvre que n’importe quelle autre vigne. C’est un cépage qui se mérite et qui n’est pas fait pour les fainéants » explique Maxime Serret, président du syndicat des producteurs qui parle vrai et franc.
Un vin charpenté et goûteux de terroir
Seuls, quelques anciens et nostalgiques de ce cépage mythique ont gardé un peu de Chatus dont la famille Allamel qui en replante dès 1883 mais sur deux petits hectares seulement. « Pour nos arrières grands parents, il s’agissait avant tout d’une production familiale et confidentielle sans arrière-pensée commerciale pour élever un vin de terroir et de garde qu’on buvait entre amis et connaisseurs. Il n’avait rien à voir avec ces vins de garage à la mode qui surfent sur la pénurie et le snobisme », raconte avec émotion un des petits fils. A notre connaissance, les vignerons de Vernon, en Ardèche, sont les seuls originaux à greffer successivement des Chatus sur des vignes américaines et du Jacquez dans la période 1880-1940. Le Chatus de Vernon est alors renommé pour son degré, sa couleur, son corps très tannique. Cependant, lapsus significatif, lorsqu’un nouveau répertoire des cépages français est réalisé en l950, le grand-père Allamel oublie tout simplement de déclarer ses deux hectares de Chatus. Et donc pour l’administration qui ne va pas enquêter sur place et se fie uniquement aux documents retournés par les vignerons concernés, cépage et vin ont tout bonnement disparu… et sont tombés au fond des oubliettes de l’histoire viticole. Mais quand le petit fils devient gérant de la Cave de Rosières, il désire retrouver le goût de sa petite madeleine de Proust à la mode ardéchoise, retrouver ses racines viticoles et partant ressusciter le vin chéri de ses ancêtres. Dans sa quête du Graal Chatus, l’homme qui veut ressusciter ce cépage mythique n’est pas au bout de ses peines dans cet univers absurde digne de Kafka. Il se heurte alors au monde tatillon de l’administration bureaucratique et multiplie les démarches avant que l’Etat reconnaisse à nouveau ce cépage ancien tombé en désuétude. De plus, le savoir-faire s’est perdu car il n’a pas été transmis par les anciens qui avaient emporté dans la tombe leur secret de vinification. Le jeune vigneron amoureux du Chatus doit aussi réapprendre à le vinifier selon les règles de l’art pour qu’il puisse enfin réintégrer la liste officielle des cépages « recommandés ». Cela va lui prendre plusieurs années d’errance et de tâtonnements avec pour slogan mobilisateur : « Avant, lorsqu’on voulait faire du bon vin on mettait du Chatus dans la cuve »
Mais oui, mais c’est bien sûr… en 1988, date à laquelle le Chatus retrouve enfin son droit de cité ! On ne le trouve que dans les Cévennes ardéchoises et en Italie, dans le Piémont, sous le nom de Negro. Un programme de développement de dix hectares a été depuis mis en place. Ses vignes sont situées sur des terrasses de grès des Cévennes où poussent également des châtaigniers. Dans des conditions souvent difficiles, voire dantesques où les ceps s’enracinent dans l’enchevêtrement d’amoncellement de pierrailles, les vignerons cultivent et perpétuent une certaine éducation du goût et de la tradition. Avec passion, pudeur et minutie. Ils n’ont jamais renoncé face à l’adversité, jamais baissé les bras, jamais abandonné le terrain et leur fameux cépage qui forge leur identité. Et parce qu’ils consacrent autant de temps à remonter les murs des terrasses supportant le Chatus qu’à cultiver la vigne, on les a surnommés les « vignerons- maçons » Au bout de la dégustation et de nos pérégrinations vinicoles hors des sentiers battus, le Chatus paraît un nectar authentique et charmeur à leur image : un concentré d’Ardèche. Il ne laisse guère indifférent : trop rustique pour certains, vraiment royal pour d’autres, il a le goût de l’évidence du terroir. A boire sans trop de modération !
Notre coup de coeur vin sur vin
Vin de pays des Coteaux d’Ardèche UNICA Vignerons Ardéchois – Chatus 2012 : avec son lot d’arômes complexes de fruits surmûris à base de coing, de figues et de pruneaux, Vin de garde par excellence, il commence à s’exprimer à partir de trois ans et donne toute son ampleur vers sept ou huit ans.
Christian Duteil/ La Radio du Goût/ décembre 2020