Dans « L’Ivresse de la Révolution », Michel Craplet raconte comment les révolutionnaires de 1789 eurent très soif, et pas seulement de liberté. Avec luxe d’anecdotes et de détails croustillants pris sur le vif… du verre qui trinque à tout va.
Regarder la Révolution par le petit bout de la bouteille et conclure qu’elle fut l’oeuvre d’une populace avinée ? Non., lui accorde volontiers notre confrère du « Canard », Frédéric Pagès. Psychiatre et alcoologue de profession, l’auteur ne commet pas cette erreur, même si ses narines exercées détectent une forte odeur de pinard dans ces glorieuses années de lutte de classes et de prise de la Bastille. Toutes les classes s’y adonnèrent, grâce à la libération des barriques, dispensées de taxes à l’entrée des villes. Le vin, denrée rare et chère, arrose soudain des gosiers frustrés et fort en gueule, condamnés jusqu’alors à consommer de la piquette. Non, « les acteurs de la Révolution n’étaient pas de la « canaille » recrutée au cabaret mais des petits-bourgeois désinhibés par quelques verres ». Acteurs des « journées » de 1792, « les sans-culottes étaient des petits commerçants et des artisans venus avec leurs salariés » pour seulement pour faire la Révolution.
Raflées dans les caves des riches, les bonnes bouteilles furent une arme efficace pour désarmer pacifiquement les soldats du roi, en particulier les Gardes suisses censés protégés les Tuileries, groggy après quelques amicales tournées. Dans les campagnes, les châtelains malins surent désarmer l’agressivité des villageois en portant des « santés » -autrement dit des toasts – au 14 juillet et à la Constitution de 1795. Ainsi, les idéaux « d’Egalité et de Fraternité » purent se traduire en gestes concrets de « piliers de bars » : lever et coude, manger et boire ensemble en toute convivialité.
Hélas, le vin joua aussi un rôle important dans les massacres de septembre 1792 (1500 victimes assassinées en quelques jours, dans les prisons principalement à Paris). Pour exécuter les suspects à coup de poignard et de sabre, pour se désinhiber, les bourreaux avaient besoin de vider des bouteilles. « Le surmoi est soluble dans l’alcool », rappelle avec malice et à propos Michel Craplet. Parfois, coup de chance, les massacreurs n’avaient plus la force de tuer, et les condamnés avait la vie sauve. Au sommet de l’Etat, le vin faisait d’autres dégâts : Louis XVI, gros mangeur et surtout gros buveur, y compris en solitaire, n’avait plus une vision claire des événements. Quand le roi boit, le royaume trinque.
Dans le camp adverse, le couple Danton-Robespierre offrait un joli contraste : d’un côté, Danton, « colosse débraillé », amateur de bonne chère et de bons vins, et, de l’autre, Robespierre, l’ascète sobre et chaste, qui, lors de la fête de l’Etre suprême, ne put empêcher les parodies de « La Marseillaise » (« Le jour de boire est arrivé »), ni les tournées dans les cabarets, ni les mascarades arrosées au vin de messe dans les églises. Bref, grâce à ce livre alerte et bien documenté, la Révolution prend des couleurs, entre « ébriété heureuse » et ivrognerie sanglante. On a peine à imaginer aujourd’hui que Notre Dame de Paris fut transformée en entrepôt à vitraux de vins de la République éméchée.
Christian Duteil/ Août 2022/laradiodugout.fr
L’Ivresse de la Révolution
Auteur: Michel Craplet
Éditeur: Grasset
Essais et Documents
300 pages
Parution: Février 2021
Prix: 22,00 €
ISBN: 9782246821885