Cuisinier français au service de lord Chesterfield en Anglerre puis à celui du prince d’Orange-Nassau, il passe ensuite à celui de Mme de Pompadour et enfin de Louis XV. Son oeuvre maîtresse : The Modern Cook, plusieurs fois réédité et augmenté devint en 1742 « Le Cuisinier Moderne » en cinq volumes ; cet ouvrage était encore considéré en 1930 par Nignon comme la référence en la matière. La plupart des recettes de La Chapelle restent encore réalisables aujourd’hui (avec une certaine adaptation).
Extrait de « L’office et la bouche », de Barbara Ketchman Wheaton, historienne née aux Etats- Unis, spécialisée en histoire de la gastronomie et de la cuisine -ISBN 2-7021-1322-2 © 1983 by THE UNIVERSITY OF PENNSYLVANIA PRESS (© Calmann-Lévy 1984)
Parmi tous les cuisiniers qui ont participé à la diaspora culinaire française, Vincent La Chapelle a laissé le monument écrit le plus durable. Son Modern Cook connaît en effet plusieurs éditions ; la première en deux volumes, écrite dans un anglais très personnel, est publiée à Londres en 1733 ; on y précise qu’il est le maître queux du comte de Chesterfield, que nous avons déjà rencontré, connu avant tout aujourd’hui par les lettres qu’il a écrites à son fils. En 1728, Chesterfield est nommé ambassadeur d’Angleterre aux Pays-Bas et il restera à La Haye jusqu’en 1732. Il a pour mission d’arranger le mariage de Guillaume IV, prince d’Orange-Nassau, avec Anne, fille du roi George II. Peut-être La Chapelle est-il entré à son service durant ce séjour à La Haye. En octobre 1728, en effet, Chesterfield écrit la lettre que voici à un de ses amis qui vit à Paris, le duc de Richmond (réputé pour l’excellence de sa table) :
MON CHER DUC,
« Je crois que vous me pardonnerez plus volontiers le mal que je vais vous donner que les excuses que je devrais vous présenter à ce propos, si bien que je laisse de côté les préambules. Sachez donc que j’ai un cuisinier qui me fut envoyé voilà six mois de Paris, et qui, bien qu’il ne soit point mauvais, n’est pas non plus des tout premiers ; or, comme j’ai en tête de faire une chère exquise, je serais enchanté d’avoir un Maître cuisinier d’un génie supérieur, capable non seulement d’exécuter, mais encore d’inventer des morceaux friands et parfaits : bref, un de ces hommes dignes d’amuser votre fin palais, dussiez-vous venir à La Haye. Si vous pouvez me trouver un tel homme, je vous prie de l’arrêter pour moi aux meilleures conditions et de me l’envoyer ici. Mais, à moins d’en trouver un dont tout Paris s’accorde à dire qu’il est au sommet de sa profession, ne m’en envoyez point, car ceux que j’ai déjà sont passables. Cette tâche vous sera peut-À
ªtre fort pesante, mais vous reconnaîtrez,
je pense, que j’aurais fait injure à votre goût si, vous sachant à Paris, je m’étais adressé à un autre que vous en fait de cuisinier… Ne vous pressez point surtout de m’envoyer ce serviteur, car s’il arrive dans les deux mois qui viennent, ce sera amplement suffisant; vous avez donc le temps de le mettre à l’épreuve et de délibérer. »
En fait, le comte lui-même connaît bien les cuisiniers. N’a-t-il pas écrit: » Il n’y a pour ainsi dire pas un cuisinier français qui ne soit mieux élevé que la majorité des Anglais de condition, et qui ne soit capable de se présenter avec davantage d’aisance et un abord plus distingué dans une compagnie mélangée. » Comment ne pas songer aussitôt au portrait de Clouet que nous a tracé son ami Verral ?
Nous possédons quelques renseignements sur la carrière de La Chapelle. Lorsque son Modern Cook paraît à Londres, en 1733, l’année où prend fin l’ambassade de Chesterfield à La Haye, La Chapelle se dit chef des cuisines de ce seigneur. Deux ans plus tard, une édition élargie de l’ouvrage est publiée, en français, à La Haye, mais cette fois l’auteur revendique le titre de chef de cuisine de ce prince d’Orange dont le comte de Chesterfield vient d’arranger le mariage. L’ambassadeur a fait rajouter à sa résidence hollandaise une vaste salle à manger, inaugurée par un banquet en l’honneur de l’anniversaire du prince. Peut-être est-ce en cette occasion que La Chapelle s’est signalé à l’attention de celui-ci.
A en juger par le contenu du Cuisinier moderne, l’auteur a dû servir dans des cuisines parisiennes ; il semble, en effet, être parfaitement au courant de tous les ingrédients que l’on peut, ou ne peut pas, y trouver. Il donne une recette de » potage dont se servoit M. le duc de Bouillon dans ses maladies « , mais sans préciser s’il a servi dans la maison de ce gentilhomme. Ses recettes anglaises et hollandaises sont la preuve de sa volonté d’apprendre, même hors de France, qualité rare chez les chefs français et qu’il partage avec Carême.
On constate aussi, en lisant son livre, qu’il a énormément voyagé. Un chapitre entier est consacré au problème de la conversation et de la présentation agréable des aliments lors d’un long voyage en mer. A l’intention des voyageurs, il donne encore la recette d’un » Grand Boüillon fait de Tablettes, facile à transporter & à conserver pendant un an & plus », dont parle d’ailleurs Casanova et que l’on n’a plus qu’à reconstituer en y ajoutant de l’eau chaude. Les Anglais appellent cela, fort joliment, une » soupe de poche « . Dans la recette d’un » gigot de mouton à l’indienne « , La Chapelle fait encore allusion à ses voyages, en recommandant d’utiliser des » racines de safran pilées, & du petit piment rouge, qu’on nomme Piment enragé dans les Indes, à cause de la force qu’il a. Comme en Europe il peut se faire que quelques Officiers de cuisine, ou autres ne connaissent pas ces sortes de racines de safran, & le piment, à moins qu’ils n’aient été en Portugal,
ou aux Indes, comme moi, on pourra y
ajouter deux ou trois gousses d’ail hachées, & au lieu de piment, y mettre du poivre, & du safran pilé, dont on aura tiré l’eau pour donner la couleur au riz « . La référence, toutefois, n’est pas très claire, puisqu’il ne précise pas s’il s’agit des Indes orientales ou occidentales ; un peu plus loin, il ajoute: « Quoique je le nomme mouton, ce n’est pourtant que du cabri; car le mouton est fort rare dans les Indes, aussi-bien que le boeuf, & le veau: on y voit plus de bufles, que de boeufs. » Les buffles sembleraient pointer plutôt vers l’Orient, alors que les piments paraissent, en revanche, s’accorder davantage avec un voyage aux Amériques ; j’ignore à quelle époque ils sont arrivés dans les Indes orientales.
Il est regrettable que l’ouvrage de La Chapelle soit bâti autour d’un noyau central emprunté au Cuisinier roïal et bourgeois de Massialot. La première édition, londonienne, du Cuisinier moderne est en deux volumes ; celle qui paraît deux ans plus tard à La Haye est en trois volumes ; la dernière édition révisée, également publiée à La Haye, mais en 1742, sera, elle, en cinq volumes. Dans l’édition anglaise, le plagiat est à son comble. Philip et Mary Hyman ont calculé, pour un article paru dans les Petits propos culinaires, le pourcentage de recettes empruntées par La Chapelle : il est de vingt-huit pour cent dans la première édition et tombe nettement plus bas pour les deux éditions en langue française; cela est dû d’une part à l’élimination de certaines des recettes empruntées à Massialot et, de l’autre, à l’introduction de nouveau matériau. Évidemment, comme ne manquent pas de le souligner les Hyman, il est difficile
d’être sûr que les nouvelles recettes ont été effective
ment mises au point par La Chapelle.
Le Cuisinier moderne classe les plats selon leur type : soupes, entrées, entremets, hors-d’oeuvre. Non content de plagier Massialot, l’auteur se plagie lui-même puisqu’il répète beaucoup de recettes en ne changeant que les principaux ingrédients. Ainsi, les quatre-cinquièmes des recettes de dinde sont-elles reprises telles quelles, ou presque, à la rubrique « poulet « . Ailleurs, il propose des recettes dont il semble avoir eu connaissance en bloc et les insère dans son texte sans même chercher à gommer le moins du monde les incohérences; témoin le chapitre sur la cuisson de la perche où figurent onze recettes dont six portent des noms hollandais qui n’ont même pas été traduits. Ce qui n’empêche nullement le Cuisinier moderne de mériter amplement son nom : on y trouve une grande partie du répertoire de la haute cuisine française, sous une forme aisément reconnaissable. En comparaison, la dernière édition du livre de Massialot semble bien dé
modée. Parmi les futurs grands classiques, cit
ons la » poularde au riz « , le » gigot de mouton en chevreuil « , une » chartreuse de perdrix au chou « , des galantines de poulet, une fricassée de poulet à la crème, une blanquette de veau, des côtelettes de veau en papillotte, un appareil à soufflé, une pièce de boeuf à l’écarlate, une crème brûlée et des oeufs au beurre noir « . Toutefois, les noms de ces plats ne correspondent pas toujours à ceux que nous donnons aujourd’hui et il y a parfois des différences fondamentales dans leur préparation. Pour la blanquette de veau, par exemple, La Chapelle utilise de la viande préalablement rôtie, habitude qui persistera tout au long du XVIIe siècle.
Les techniques, néanmoins, ressemblent fort à celles de la grande cuisine actuelle. On cuit les légumes au blanc (un mélange de farine, eau, beurre et sel) pour qu’ils gardent leur belle couleur; un peu plus tard, les cuisiniers ajoutent du citron ou du vinaigre pour augmenter encore l’efficacité de la méthode. On utilise énormément la pâte feuilletée et il y a aussi beaucoup de crèmes et fromages glacés. On ajoute des blancs d’oeufs montés en neige très ferme à la crème pâtissière, pour obtenir une crème Saint-Honoré, dont on fourre les gâteaux. On fait cuire la même crème au four, sur un fond de pâte feuilletée, et lorsque l’ensemble est bien gonflé on le sert sans tarder: c’est le premier soufflé. La Chapelle n’oublie pas non plus les nouvelles saveurs : café et chocolat parfument ses crèmes anglaises et ses glaces.
Le cuisinier du XXe siècle trouvera dans ce livre des douzaines de recettes qui méritent d’être essayées, même s’il convient d’y apporter quelques importantes modifications. La » pièce de boeuf à l’ancienne » que l’on trouve dans Mastering the Art of French Cooking de Julia Child, Louisette Bertholle et Simone Beck, est manifestement la descendante de la » pièce de boeuf en surprise » de La Chapelle. Dans la recette originale, on braise une grosse pièce de boeuf dont on évide le centre, une fois cuite. On enduit l’extérieur d’un mélange de parmesan et de chapelure, puis de beurre. Après l’avoir passée au four jusqu’à ce qu’elle soit dorée et croustillante, on la remplit d’un savoureux mélange de pigeonneaux à la crème. Ceux-ci n’étant pas toujours faciles à trouver aujourd’hui, la version modernisée leur substitue un mélange de jambon, champignons et de la viande récupérée lorsqu’on a creusé la pièce de boeuf. Les deux grands
problèmes que posent à notre époque les recettes de
La Chapelle sont des problèmes de temps et d’argent. Un cuisinier expérimenté y trouvera cependant de merveilleuses idées et même des recettes qui méritent une place dans les menus d’aujourd’hui. je pense notamment aux poulets à la broche, avec leur sauce aux noix vertes blanchies et à l’essence de jambon. Quiconque ne possède pas de noyer remplacera les noix vertes par des noix sèches, mais le plat n’en est pas moins fort délectable. Quant aux » génoises » de La Chapelle (qui n’ont rien à voir avec le gâteau qui porte ce nom à l’heure actuelle), ce sont de délicieux petits chaussons de pâte bien croustillante, fourrés d’une noisette de crème pâtissière à la pistache et plongés dans un bain de friture. Pourquoi donc a-t-on arrêté de les faire?
Les recettes qu’il n’est pas facile d’exécuter à notre époque sont celles qui nécessitent des ingrédients coûteux ou une préparation prolongée, sinon les deux. Qui d’entre nous irait se lancer dans la confection d’un entremets chaud, fait avec cinquante langues de canard ou d’oie, à supposer qu’on puisse seulement se les procurer. En revanche, l' » entrée de pigeons à la lune » paraît, à la lecture, des plus savoureuses :
« Ayez des moyens Pigeons échaudez, ou bien plumez ; étant bien nettoyez, fandez-les sur l’estomac, & y mettez une petite brochette, afin de les tenir ouverts; & ensuite, mettez-les cuire avec de petites tranches de veau, & de jambon, & des bardes de lard, & assaisonné de sel, poivre, fines herbes, fines épices, ognons, & les achevez de couvrir, & les mettez cuire, un quart d’heure sufit; ayez un petit salipicon fait de ris de veau, de truffes, champignons ; le tout en petit dez ; mettez le tout dans une casserole avec un peu de jus, un peu de coulis, & le faites cuire : étant cuit, & de bon goût, vous le laissez refroidir, il faut avoir une farce comme pour un poupeton, & arrangez vos Pigeons dans le plat où vous les voulez servir; vos Pigeons y étant arrangez, vous ferez un cordon de farce à chaque Pigeon, aussi haut qu’elle pourra monter, & bien mince; il faut observer qu’il faut avoir de la place entre chaque Pigeon, pour y mettre une cuillerée de petit ragoût que je vous m
arquerai à la fin. V
os Pigeons étant bien arrangez, mettez de ce petit salipicon dans vos Pigeons, & mettez dessus chaque Pigeon une petite abbesse de feuilletage coupée en coeur, & de la grandeur de l’estomac de vos Pigeons; observez qu’il faut qu’elle soit découpée, & ensuite, dorez-les, & les mettez cuire au four, ou bien dessous un couvercle de tourtière ; préparez un ragoût de ris de veau, coupez-les en filets, ayez des champignons, ou mousserons, ou truffes, si c’est la saison, quelques foies gras, des crêtes de coq, des queûes d’écrevices ; vous mettez cette préparation en deux casseroles; l’une, vous la passez au blanc, & l’autre, vous y mettez de bon jus, & de bon coulis, & celui que vous passez au blanc, vous le liez d’un bon coulis blanc, où bien avec une liaison d’oeufs ; & lorsque vous êtes prêt à servir, & que vos Pigeons ont une belle couleur : vous les égoûtez, & dégraissez bien, & nettoyez bien le bord du plat, & mettez, entre chaque Pigeon de ce ragoût, a
utant qu’il y en pourra tenir, & le t
out de bon goût, & servez chaudement pour Entrée. »
On ne peut s’empêcher de songer aux délicats entrelacs d’or et d’émail qui ornent les tabatières de l’époque : leur réalisation demande aux artisans des trésors d’habileté et de travail acharné et l’utilisation des plus riches matériaux devient parfois une fin en soi. Cependant, s’il existe chez La Chapelle relativement peu de recettes que l’on ne puisse réaliser aujourd’hui, les menus composés à partir de ces recettes sont absolument impossibles à suivre. je doute que même le cuisinier le plus ambitieux ou l’hôte le plus riche soient en mesure de présenter un authentique repas du XVIIIe siècle, tel que le savourait la noblesse de l’époque. Même si les perdreaux, truffes, jambons et autres ingrédients n’étaient pas aujourd’hui quasiment inabordables, il serait bien difficile de se procurer des crêtes de coq ou des pis de vache, et il faudrait en outre prévoir autant d’ouvriers spécialisés dans les cuisines que de convives à table
.
L’ » entrée de pommes d’amour » n’est peut-être pas impossible à faire, mais elle est certainement inhabituelle. Ces » pommes « , en effet, dont l’auteur précise qu’on » n’en sert ordinairement que deux dans un plat « , sont des petits monticules de viandes blanches arrangés en forme de sein et servis chauds ; leur composition n’est pas sans rappeler celle de la galantine. On pousse le réalisme jusqu’à fabriquer avec du jambon un mamelon et des veines qui transparaissent à travers la peau de poulet dont le » sein » est recouvert; » vous pouvez encore vous servir de la peau d’un cochon de lait, si vous en voulez faire la dépense ; elles sont fort belles de cette manière « , assure l’auteur, en parlant de ses pommes d’amour. C’est en tout cas un plat extrêmement apprécié à l’époque, dont il existe même une variante au poisson pour les jours maigres. Les deux versions reviennent régulièrement dans les menus, même si cette allusion assez crue au martyre de sai
nte Agathe n’est pas du goût de tout
le monde.
Le cinquième volume de la dernière édition du Cuisinier moderne, celle de 1742, est particulièrement riche en recettes d’origine étrangère. La Chapelle qui n’a manifestement rien d’un polyglotte estropie quelque peu les orthographes. Un peu plus tôt, il avait transformé le mot anglais » marigold » (qui veut dire » souci » – la fleur) en » marygools » ; à présent ce sont les » macaroni » qui deviennent des » macarollis « . On trouve d’ailleurs plusieurs recettes de pâtes alimentaires, car elles sont fort en vogue en France vers cette époque et le resteront jusqu’à la fin du siècle. Il y a aussi des soupes à la bière, de l’escabèche, du » foye de veau à la Hessoise » (au vin du Rhin et raisins secs) et plusieurs recettes de choucroute. La propension de l’auteur à s’approprier les recettes d’autres cuisiniers en fait un voyageur exceptionnellement réceptif. Même si la totalité de ces recettes étrangères n’est pas incorporée à la cuisine
française, La Chapelle résout, à ce que je croi
s, un problème soulevé après que les fondements de cette cuisine ont été établis. Avec l’avènement d’un répertoire fondamental de mélanges et techniques de base, on voit poindre, en effet, le danger d’une certaine mécanisation de l’art culinaire – La Chapelle lui-même y sombrant à l’occasion. C’est en se tournant, comme il le fait, vers d’autres traditions gastronomiques, que l’on peut apporter à tout moment un brin de fraîcheur et de fantaisie.
Comme nous l’avons vu, La Chapelle répond à l’inclusion de certaines recettes du Cuisinier moderne dans l’édition de 1739 du Cuisinier roïal et bourgeois par une attaque extrêmement virulente qui figure dans le quatrième tome de l’addition de 1742 et une critique plus fournie que l’on trouve à la fin du cinquième tome. Il y reprend une bonne douzaine des recettes de Massialot, en leur ajoutant à chaque fois ses commentaires rageurs. Par exemple, après la recette du jarret de porc à la purée de légumes verts, il déclare: » Pour faire cette entrée, il n’est pas nécessaire d’être cuisinier « ; après celle d’une langue de boeuf, il note : » Il n’étoit pas nécessaire de mettre cette Entrée-là pour nouvelle, puisque depuis que je suis à la Cuisine, je l’ai vû servir, &je l’ai servi. Cet Auteur soi disant n’étoit pas encore au monde. Quand un homme veut critiquer, il ne faut pas qu’il tire rien des Anciens pour le faire passer pour quelque cho
se de nouveau. » Il prend aussi Massialot en flag
rant délit d’oubli de farine dans un gâteau – erreur redoutée de quiconque s’avise de publier des recettes. Et La Chapelle de conclure: » L’Auteur du Cuisinier Royal & Bourgeois a mauvaise grâce de me traiter de plagiaire… Je le prie de croire que quand je voudrai me parer du bien d’autrui, j’ai assez de discernement & de goût pour choisir un meilleur livre que le sien. » Mais là, nous l’avons clairement démontré, sa position est on ne peut plus faible.
En dépit de tous ses défauts, la contribution de ce grand chef est importante. Il propose des recettes cohérentes de plats qui sont restés depuis parmi les grands classiques de la cuisine française ; il est familiarisé, par l’habitude, sinon toujours par la réflexion, avec le jeu des techniques et des mélanges de base, qui sous-tend la haute cuisine. Dans ses écrits et ses errances, nous voyons à la fois les idées culinaires françaises s’envoler vers d’autres cieux et les recettes étrangères atterrir sur les tables françaises. Carême, qui a étudié de très près les anciens livres de cuisine, se réfère au Cuisinier moderne plus souvent qu’à tout autre ouvrage du XVIIIe siècle. Il exprime fréquemment sa désapprobation de ce qu’il appelle la » cuisine ancienne « , mais il est pourtant très fier de suivre la même tradition. La Chapelle, qui a beaucoup voyagé et beaucoup appris durant ses voyages, lui sert de modèle. L’un et l’
autre peuvent, à juste titre, prétendre avoir été » le
cuisinier moderne » de son époque.
La Web Radio du Goût avec Gastronomie en Périgord.
Illustration; couverture du livre Le cuisinier moderne / Vincent la Chapelle