Gérald Passedat, chef du Petit Nice à Marseille, avait presque tout: une « passion » pour la cuisine, un cadre magique au bord de la Méditerranée pour l’assouvir, une place de choix dans les guides gastronomiques. Ne lui manquait qu’une 3e étoile au Michelin. C’est chose faite.
A 47 ans, le chef marseillais, à la tête d’une équipe de 49 personnes, y voit le résultat d' »énormément de travail, de réflexion, beaucoup d’humilité aussi ». « On m’a toujours inculqué les vraies valeurs, le travail, le respect », confie-t-il .
Trois générations de cuisiniers ont porté Le petit Nice au firmament. En 1916, Germain, grand-père de Gérald, achète un bar sur la Corniche. Plus bas, au bord de l’anse de Maldormé, vit une comtesse dans une villa blanche. La dame vient un jour utiliser le téléphone du bar pour informer son notaire de son souhait de vendre sa demeure. Germain n’hésite pas, vend ses guinguettes et l’achète.
Compagnon du Tour de France pâtissier, il y crée un an plus tard un restaurant qu’il baptise Le petit Nice, « un coup de marketing » pour faire venir la clientèle étrangère qui fréquente la Riviera, commente aujourd’hui Gérald. Désormais les Marseillais se pressent chez les Passedat le dimanche. Germain ouvre quelques chambres.
Après-guerre, son fils, Jean-Paul assure la relève: entrée au guide Relais&Châteaux en 1977, 1e étoile en 79, 2e en 81.
« Avec un père passionné de grande cuisine qui nous emmenait chez Alain Chapel ou Paul Bocuse, cette sorte d’alchimie, cette magie qu’est la cuisine me titillait pas mal », raconte Gérald.
A 12 ans, il annonce qu’il sera cuisinier. A 16, il suit l’école hôtelière de Nice. A 18, il est commis à Bougival puis va chez Michel Guérard dans les Landes, au Bristol et au Crillon à Paris, chez Troisgros à Roanne, un moment-clé de sa vie.
A 25 ans, « je suis revenu au Petit Nice en tant que commis, j’ai gravi les échelons, petit à petit ». En 1990, il commande la cuisine.
Suivent quelques années d’insatisfaction sur ses préparations: « A mon goût, c’était pas terrible, ça ne me plaisait pas bien ».
Gérald Passedat cherche sa voie. Il s’enthousiasme pour Ferran Adria, l’inventeur catalan de « la cuisine moléculaire », rencontré en 1999. « Ca nous a quand même mis martel en tête pendant un an. Avec mon équipe, Denis Maillet et Philippe Moreno, on s’est dit +qu’est-ce qu’on est mauvais! Qu’est ce qu’on peut faire ?+ »
« C’est là que j’ai compris que la mer était vraiment ma destinée. C’était comme une évidence! », s’exclame-t-il.
La Méditerranée, dit-il, devient alors son « potager ». Il se fournit auprès des petits pêcheurs marseillais, dédaignés alors par les restaurateurs locaux. « L’extrême fraîcheur, la qualité! Des poissons qui ne touchent jamais la glace, ça fait une différence dans les chairs, énorme! ».
Il remet au goût du jour des poissons oubliés et apprend « à composer avec les chairs différentes », s’inspirant des techniques de cuisson que Jean Troisgros utilisait pour les viandes. « J’ai essayé de retranscrire tout cela et de créer ma propre palette gustative », explique-t-il.
Le sarran, la mostelle, la galinette, les beaux-yeux, la canthe ou le denti, autant de poissons qui constituent désormais « la colonne vertébrale » de sa cuisine.
Sa carte, « c’est 98% de poissons et crustacés, 2% de viande ». L’une de ses spécialités, « les anémones de mer en onctueux iodé » en premier plat et « pour continuer », le loup de palangre « comme l’aimait Lucie Passedat », sa grand-mère.
« Une cuisine hyper digeste », commente-t-il, « très peu de déco, d’abord le goût ! »