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Ingrédients
De bon matin, ce brave homme s’était mis à l’ouvrage. Chez un choucroutier de ses amis, il avait choisi le chou le mieux fermenté, coupé en fines lanières, bien blanc et croquant. II l’avait ensuite abondamment rincé; dans une grande terrine à pâté en terre, il avait fait fondre une grosse cuillere de graisse d’oie, puis il avait étalé deux gros oignons coupés en tranches, pour les faire revenir sans qu’ils prennent couleur.
Sur ces oignons fondus, il avait placé une épaisse couche de « ses choux», sur lesquels il avait répandu une bonne poignée de grains de genièvre, des grains de poivre gris, et une petite feuille de laurier coupée en trois ou quatre morceaux. Sur ce lit accueillant, il avait posé un gros morceau de poitrine fumée, et un autre de demi-sel; pour tenir compagnie à ces deux compères, il ajouta une palette fumée et un jambonneau demi-sel, le tout recouvert d’une épaisse couche de choux. La même quantité d’aromates servait de parure à sa terrine.
Mon oncle arrosa le tout d’un verre de riesling, pas plus, avant de le placer dans un four qu’il avait préalablement chauffé doucement. Pendant une heure, il « oublia » sa préparation, qui mijotait à température moyenne. Après cette première cuisson, il rajouta de beaux gros saucissons fumés. A peine le temps de s’imprégner du fumet, l’ensemble retournait déjà au four, pour une autre heure de cuisson. Après ces deux bonnes heures d’impatience, la terrine arrivait sur la table, accompagnée de pommes de terre cuites à la vapeur et de saucisses de Strasbourg, qu’il appelait des «Knackwürst », qu’il avait doucement réchauffées dans une casserole d’eau frissonnante.
Mon oncle avait simplement annoncé: «Voilà une choucroute. » Le chou était légèrement croquant, à peine acidulé, parfumé du goût du porc fumé cuit à point. Aucune trace de gras: le tout était d’une digestibilité par faite. Rien ni personne ne ressuscitera mon vieil homme. Mais chacun peut réaliser soi-même un tel rêve.